« Voyages

Ou comment j’ai vécu un voyage inoubliable malgré la pandémie…

Photos : Didier Constant, Patrick Laurin, François Pacou, Izoard Photo, Tam Tam Photo, Griffe Photos, Honda, RST

Cette fois-ci, on ne peut pas parler de chance. C’est ma détermination à ne pas laisser la peur guider ma vie qui a rendu ce voyage possible. La peur est la première entrave à notre liberté. Et c’est nous qui nous l’imposons, personne d’autre. « Avoir peur, c’est mourir mille fois, c’est pire que la mort » affirmait Stefán Zweig.

Malgré les messages divers et souvent contradictoires qui circulent, il incombe à chacun de réfléchir, d’analyser la situation et de faire preuve d’esprit critique, au sens où l’entendaient les philosophes des Lumières. Pratiquer la zététique — l’art du doute —, pour ne pas tomber dans le piège des sophistes et des prosélytes de toute allégeance. Personnellement, après avoir évalué les risques que j’encourais à voyager à l’étranger, je suis arrivé à la conclusion qu’ils n’étaient pas plus importants que ceux qui me guettaient à rester cloîtré chez moi. Je me suis alors dit que si je devais mourir — ce qui va bien arriver un jour —, je voulais apprécier une fois encore le vrai goût de la liberté.

Amis et compagnons d'aventure

Amis et compagnons d’aventure depuis 10 ans

Mais cette liberté a aussi un coût. Patrick — qui m’accompagnait dans cette aventure, comme il le fait maintenant depuis 10 ans —, et moi en avons fait l’expérience lors de ce voyage initialement planifié pour un groupe de cinq personnes. Après maintes péripéties que je vous raconterais peut-être un jour, nous nous sommes retrouvés tous les deux, seuls, à assumer un lot de dépenses incompressibles qui ont fait exploser le coût de notre escapade. Mais, a posteriori, ça en valait la peine. Je n’ai ni remord ni regret.

Cependant, n’allez pas croire que je sois inconscient, rebelle ou hors la loi. Même si j’ai toujours eu le goût du risque, j’ai suivi les recommandations gouvernementales, en connaissant parfaitement les règles du jeu. J’ai observé les conseils sanitaires pendant le trajet aérien, porté un masque partout où c’était obligatoire et j’ai respecté la quarantaine à mon retour. Consciencieusement. En bon citoyen. Pourtant, je dois avouer qu’il s’agit là d’un faible prix à payer pour avoir eu le privilège d’entreprendre un tel voyage. Comme je travaille de la maison, la quarantaine a été une simple formalité. Surtout qu’il a plu presque tous les jours pendant ma captivité forcée. Aucun regret, donc !

Je ne cherche pas non plus à m’excuser. «Qui s’excuse s’accuse», disait Stendhal. Je repartirais sur le champ si j’avais le temps et les moyens de le faire. Sans hésiter un instant.

Retour aux sources

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L’Africa Twin sur les bords de la Loire. En arrière-plan, la cathédrale d’Orléans

Ma vie est une interminable chaîne de désirs. Mes envies influencent souvent mes choix et mes décisions. C’est pour cela que je suis devenu journaliste plutôt que d’accepter un poste lucratif dans une industrie qui ne me faisait pas bander. J’ai réalisé très tôt que je ne deviendrais jamais riche, une idée à laquelle je me suis faite sans problème et sans hésiter. Ma richesse ce sont les merveilleux souvenirs que j’ai engrangés et les aventures inoubliables que j’ai vécues tout au long de ma vie. C’est l’amour de mes proches et l’amitié que m’offrent mes amis et les gens que je rencontre en chemin. Ces biens sont inestimables et personne ne peut me les ôter, surtout pas le fisc. C’est mon patrimoine immatériel à moi. Et croyez-moi, ça vaut tout l’or du monde.

Ce qui distingue un voyageur d’un touriste, c’est sa capacité d’adaptation et d’improvisation. J’ai donc modifié mon itinéraire à la dernière minute afin de maximiser mon séjour et passer plus de temps avec ma famille et mes amis. La première semaine leur est donc consacrée. Je décide de passer les trois premiers jours dans la région d’Orléans, où j’ai vécu la majeure partie de mon enfance.

Olivet

Moulin des Béchets, Olivet

Jeudi 3 septembre, midi. J’arrive enfin à Orléans après un vol court, facile et confortable. L’avion était aux deux tiers vide, tout comme l’aéroport et les formalités douanières ont été d’une facilité et d’une rapidité déconcertantes. Néanmoins, je suis un peu décalqué par le manque de sommeil et le décalage horaire. Patrick et moi nous rendons à notre hôtel habituel et nous déposons nos bagages. Après une douche rapide, nous allons rendre visite à mon neveu, chez ma sœur, où la Kawasaki Z750S de Patrick et une partie de mon équipement nous attendent. La Z750S est sale et la batterie à plat. Nous en profitons pour lui faire une petite beauté et laisser la batterie en charge toute la nuit. Le lendemain, nous réaliserons qu’elle ne tient pas la charge et nous la remplacerons par une neuve.

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De mon côté, je récupère mon casque Bell MX-9 Adventure, mon ensemble RST Pro Series Adventure-X et mes bottes Forma Air 3 OutDry que je laisse en France le reste de l’année. Ça me permet de voyager léger.

À Paris, j’ai ramassé une magnifique Africa Twin 1100 Adventure Sports DCT chez Honda France. Elle est neuve et a fière allure avec son ensemble de bagages en alu. Dans sa robe tricolore bleue/blanc/rouge, elle est tout simplement sublime ! Une aventurière comme je les aime !

Même si je suis né en banlieue sud de Paris, le Centre est ma région de cœur. J’y ai vécu 20 des premières années de ma vie, avant d’émigrer au Québec. J’y ai forgé certains de mes plus beaux souvenirs — ceux de l’enfance et de l’adolescence nous marquent à jamais et déterminent qui nous sommes — et j’y conserve des amis de longue date, dont Jean-Joseph, Bénédicte, Manu, Fabienne, Patrick et Pierre que je vois à chacune de mes visites dans la région. Mes excuses à ceux que j’ai oubliés et il y en a beaucoup…

Les Amis du Challenge Honda 125

Les Amis du Challenge Honda 125

Pierre et moi nous sommes connus en 1977, à l’École Normale d’Orléans, où nous étudiions pour devenir instituteurs. Aujourd’hui, nous avons quitté l’éducation nationale. Nous sommes tous les deux motards depuis près de 50 ans et membres de l’association Les Amis du challenge Honda 125 qui compte une bonne centaine d’adhérents ayant supporté ou disputé le Challenge Honda France 125, à la fin des années 70, une formule de promotion destinée à favoriser l’accession des jeunes au sport motocycliste. Nous sommes propriétaires d’une Honda CB125 coursifiée — une S3 pour Pierre et une N pour moi — que nous pilotons lors des rencontres de l’association (elle en organise une dizaine par année, bon an mal an). Le week-end de mon arrivée en France, un événement est prévu à Mer, un village où j’ai vécu entre l’âge de 2 ans à 7 ans, situé à 45 km à l’ouest d’Orléans. J’ai essayé de m’y inscrire afin de m’arsouiller avec les potes, mais il n’y avait plus de place. Faisant contre mauvaise fortune bon cœur, je décide d’y aller le samedi pour faire des photos.

Moi et ma Honda CB125N

En action avec ma Honda CB125N au circuit Carole, en 2018

Quand j’arrive au circuit Cap Karting de Mer, la température est maussade. Le ciel est couvert et de gros nuages menacent. Les CB125 de mes potes sont regroupées sous six barnums, alignées comme pour une exposition. Plusieurs font l’objet de soins attentifs de la part de leur propriétaire, soit pour un entretien préventif, soit pour une réparation. Dans ce genre de rassemblement pour motos classiques, on passe souvent plus de temps à faire de la mécanique qu’à rouler. Pour certains, ça fait partie du plaisir, pour d’autres, dont je suis, c’est un mal nécessaire. Mais tout le monde se prête à l’exercice avec grâce et patience. Enfin presque…

Pierre dans ses œuvres

Pierre dans ses œuvres

Le samedi, les pilotes du challenge Honda 125 effectuent deux sorties de 20 minutes le matin et deux autres l’après-midi. C’est peu, mais l’événement est vraiment convivial et peu coûteux, ce qui explique sa popularité. On y retrouve également les membres du Motobécane Club de France qui, incidemment, organise ce rendez-vous, et une brochette de pilotes de motos classiques de petite et moyenne cylindrées. Dans une ambiance bonne enfant. Le matin, lors de chaque sortie de mon groupe, la pluie s’invite à la fête. Je dois donc attendre l’après-midi pour faire quelques photos décentes de mes amis. En attendant, je réponds aux questions des curieux à propos de la Honda Africa Twin 1100 Adventure Sports. Particulièrement au sujet de sa transmission DCT qui en intrigue plus d’un.

En fait, je suis surtout venu pour passer du temps avec les amis que je ne vois pas assez souvent à mon goût, trois à quatre fois par année dans le meilleur des cas, une seule fois cette année, à cause de cette satanée crise sanitaire. Putain de virus !

Une fois mes photos faites, je casse la croûte avec les potes et je salue tout le monde afin de rentrer à Orléans en fin d’après-midi, faire mes bagages. Le lendemain matin, Patrick et moi partons pour Dax de bonne heure. Je vais passer trois jours avec mes frères que je n’ai pas vus depuis deux ans et rendre visite à de bons amis du Pays basque.

En route pour le Sud-Ouest

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Pause à Eyzerac, Dordogne

« Un voyage de mille lieues commence toujours par un premier pas» disait Lao-tseu. Après deux jours d’acclimatation, il est donc temps de faire un premier pas et de prendre la route. Comme je ne suis pas pressé et que j’apprécie moyennement l’autoroute, j’opte pour le chemin le plus long et le plus intéressant. J’emprunte les routes secondaires de la Sologne, du Berry, du Limousin, du Périgord et des Landes. 660 km de routes sinueuses et vallonnées qui traversent de magnifiques régions.

La moto est chargée à bloc. Les valises et le top case contiennent aisément mon barda que je transfère dans ma chambre le soir venu. Mes affaires sont réparties dans cinq grands sacs étanches. Précaution superflue étant donné que je bénéficierai de trois semaines de soleil et de températures oscillant entre 24 et 30 °C. Je n’affronterai la pluie qu’une dizaine d’heures au total, sur le chemin du retour. Mais ça, je ne le savais pas avant mon départ.

Virazeli

Virazeli, Lot-et-Garonne

De Limoges à Mont-de-Marsan, en passant par Périgueux, la route serpente à travers les vignobles, dont celui de Montbazillac, au sud de Bergerac, où l’on produit un vin blanc liquoreux exquis. En direction sud, vers Marmande, la D933 virevolte entre les coteaux pentus couverts de vignes. Son tracé vallonné est envoûtant et le bitume impeccable. Grâce à Waze, je peux rouler à un bon rythme sans craindre pour mon permis. Je suis bien. C’est une balade bucolique très agréable !

Quand j’arrive à Dax, en soirée, au terme d’une journée de neuf heures de route, je suis en bonne forme. J’en profite pour aller souper chez mon frère Marc qui habite à 500 m à peine de l’hôtel où je réside. Mon second frère, Gilles, nous y rejoint à l’apéro. Nous passons une soirée magique entre frangins, en compagnie de Patrick et Séverine, la nouvelle compagne de Marc.

 Pays basque et Navarre par les chemins de traverse

Biarritz vue du ciel

Biarritz vue du ciel

Le lendemain, mes frères sont au travail. Je saisis l’occasion pour aller vadrouiller au Pays basque par des routes que je connais sur le bout des pneus, question de me dégourdir les jantes. Une escapade sportive qui part de Dax pour rejoindre Peyrehorade, Salies-de-Béarn, Saint-Palais et Saint-Jean-Pied-de-Port — halte incontournable sur la route du pèlerinage de Saint-Jacques-de-Compostelle — où j’arrête pour le déjeuner. Après m’être rempli la panse, je traverse côté espagnol, par la N-121 pour rallier Saint-Sébastien, puis Saint-Jean-de-Luz, 20 kilomètres plus au nord, de l’autre côté de la frontière, par la route de la corniche qui longe le littoral basque. Entre le bleu de la mer Cantabrique et le vert luxuriant des montagnes, cette route magnifique déroule des points de vue uniques (Hondarribia, Hendaye, Ciboure, Bidart, Biarritz). Avec ses hautes falaises découpées, ses criques, ses landes à bruyères, ses bosquets, ses espaces agricoles, la corniche offre un vaste domaine naturel préservé sur la côte basque française. Après une halte à Saint-Jean-de-Luz où je joue les touristes, je poursuis mon chemin jusqu’à Biarritz et enfin Dax où j’arrive en fin d’après-midi.

Route de la corniche

Route de la corniche, à la sortie sud de Biarritz

Même si je n’ai jamais vécu dans la région, je m’y sens chez moi. C’est un coin étonnant, délimité par l’Atlantique à l’ouest et les Pyrénées, au sud, où il fait bon vivre. En plus, on y bouffe bien.

Le deuxième jour de mon escapade pyrénéenne, j’ai rendez-vous avec mon ami François qui habite Ahetze, un village pittoresque et charmant situé à quelques kilomètres de la côte atlantique, à l’intérieur des terres. Nous sommes rejoints au café par Pierry, un de ses amis qui organise des voyages dans l’Himalaya, au guidon de Royal Enfield.

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Pierry, Didier, François : près de 150 ans d’expérience cumulée !

Pour l’occasion, Pierry nous a concocté un itinéraire traversant en partie l’Euskadi (le Pays basque) et la Navarre. Sous l’Ancien régime, la Navarre était une province française. Elle recèle un chapelet de villages séculaires figés dans le temps qui s’égrène le long de routes sinueuses et torturées, au pied des Pyrénées, au sud de la frontière franco-espagnole. Le patrimoine de la Navarre est tout à fait exceptionnel. Il est gravé dans les pierres de ses châteaux et de ses habitations ancestrales. Il révèle la richesse de son histoire, notamment dans le village de Roncevaux où le chevalier Roland, neveu de Charlemagne, aurait trouvé la mort lors d’une célèbre bataille.

De Saint-Pée-sur-Nivelle, en passant par Espelette, notre chemin nous mène à Dantxainea et Erratzu en Espagne, puis, via le col d’Ispéguy (672 m d’altitude) et la NA-2600, une délicieuse route de montagne très sinueuse, à Saint-Étienne-de-Baïgorry, côté français, où nous arrêtons déjeuner.

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Arnéguy, Pyrénées-Atlantiques

Si nous avions eu plus de temps, nous aurions piqué au sud, à l’intérieur des terres, vers Pampelune, capitale de la Navarre, où se tient chaque année en juillet, à l’occasion des fêtes de San Fermín, une course de taureaux qui a fait la réputation internationale de la ville. Sur la plaza del Castillo, le café Iruña, un des plus célèbres d’Espagne jadis fréquenté par Ernest Hemingway, défie le temps. Une soixantaine de kilomètres plus au sud, près de la commune de Los Arcos, les amateurs de journées de roulage se retrouvent au magnifique circuit de Navarre où plusieurs de mes amis vont rouler régulièrement. Il est localisé à environ deux heures au sud de Biarritz et à trois heures de Pau. Donc facilement accessible pour les motards du Sud-Ouest.

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Arnéguy, Pyrénées-Atlantiques

Mais le temps nous manque, malheureusement. Après un délicieux repas basque pris en terrasse, notre guide nous promène des deux côtés de la frontière par les sentes étroites et les chemins de bergers. Une escapade hors route d’une petite centaine de kilomètres qui traverse des panoramas de rêve, au sommet des Pyrénées. Un moment de grande communion ! Là, dans ces sentiers étroits, secs et rocailleux, la Honda est handicapée par son poids élevé, ses pneus mixtes Metzeler Karoo Street au profil trop routier et sa boîte DCT. Elle manque de grip sur les cailloux et est difficile à emmener dans les sections techniques, à basse vitesse. Pour négocier ces chemins avec aplomb, il faut avoir un bon niveau en TT, ce qui n’est pas mon cas. Je suis plus à l’aise dans les parties plus roulantes, debout sur le repose-pieds et sur sol compacté.

Saint-Jean-Pied-de-Port

Saint-Jean-Pied-de-Port

Notre escapade tout-terrain prend fin sur la route départementale D933, au sud de Saint-Jean-Pied-de-Port d’où je rentre à Dax en passant par Bayonne. Là, j’emprunte l’autoroute pour une cinquantaine de kilomètres afin de rejoindre la famille pour le souper. Le temps presse !

Direction la Savoie

Le mercredi matin de bonne heure, Patrick et moi quittons Dax après deux magnifiques, mais trop brèves journées afin de rallier Bourg-Saint-Maurice, en Savoie. Un trajet d’environ 1 000 km que nous avalons dans la journée. Nous arrivons vers 18 heures, assez tôt pour nous installer, prendre une douche et profiter de la soirée après un délicieux souper savoyard au restaurant Le BC7.

Dans cette bourgade accueillante, au pied de l’Aiguille des Glaciers (3 816 m) et de l’Aiguille rouge (3 226 m), j’ai réservé une chambre pour trois nuits à l’Autantic, un superbe hôtel situé à l’entrée du village, quand on arrive de Moutiers.

Hôtel l'Autantic

Hôtel l’Autantic, Bourg-Saint-Maurice

J’aime la montagne ! Contrairement à la mer où le décor est ouvert, infini, où l’on voit le soleil plonger dans l’océan en fin de journée et s’y noyer, ici l’horizon est toujours proche, presque palpable, car délimité par les montagnes voisines. Aux yeux de certains, elles peuvent ressembler aux murs d’une prison. Pas pour moi cependant. Cette gigantesque muraille naturelle dressée vers le ciel a même quelque chose de rassurant. De protecteur. Et il faut faire preuve de beaucoup d’imagination pour deviner ce qui se cache au-delà de cette barrière infranchissable. Pour savoir quelle course le soleil suit quand il franchit les crêtes et les monts. « Un homme qui n’a pas d’imagination n’a pas d’ailes », disait Mohamed Ali. Et du coup, il ne peut pas s’envoler pour aller explorer le monde au-delà des sommets enneigés.

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La Croix, Savoie

À l’origine, j’avais prévu de ne passer qu’une nuit à Bourg-Saint-Maurice, pour ensuite prendre le tunnel du Mont-Blanc et rejoindre Briançon et les Alpes du sud par la Vallée d’Aoste, en Italie. Les prévisions météo étaient peu optimistes, mais, comme c’est souvent le cas, fausses. Il a fait un temps superbe durant toute la durée de notre séjour savoyard. Chaud et sec. J’ai donc bien fait de changer mes plans à la dernière minute et de rester trois jours. J’avais trop envie de redécouvrir ce magnifique coin de pays que j’ai délaissé ces dernières années.

La Savoie est un véritable paradis. Ses routes sont sinueuses, élevées, bien entretenues, et ses cols sont parmi les plus hauts d’Europe. Ils offrent une vue panoramique imprenable sur les Alpes françaises, mais aussi italiennes et suisses. Les routes de la vallée de la Tarentaise, de la vallée de la Maurienne, des Trois Vallées et celles du parc de la Vanoise sont parmi les plus belles routes à moto que j’ai eu l’occasion de prendre. Pendant trois jours, ces décors de rêve constituent mon terrain de jeu. Sublime et sans cesse renouvelé. C’est tellement beau que je souffre presque du syndrome de Stendhal*. Pour moi, faire de la moto c’est faire preuve d’humilité et de respect. C’est mettre un genou à terre, comme pour faire une révérence à la route, une courbette au magnifique spectacle qui s’offre à nos yeux ébahis. Même si je fais de la moto depuis près de 50 ans, je suis toujours émerveillé.

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Jeudi 10 septembre ! Nous entamons la deuxième semaine de notre périple. Nous nous levons de bonne heure pour nous rendre au barrage de Roselend, près de Beaufort-sur-Doron, à une cinquantaine de kilomètres au nord de Bourg-Saint-Maurice, par les départementales D902 et D9025. La route étroite et sinueuse grimpe sans cesse, particulièrement au niveau de Chatelard, la Croix et Les Chapieux où elle dessine des lacets impressionnants. Puis nous arrivons au Cormet de Roselend (1 968 m), un col magnifique blotti entre le massif du Beaufortain et le massif du Mont-Blanc, à proximité de l’Italie. Depuis 1979, il a été franchi à 12 reprises par les coureurs du Tour de France. Le panorama est époustouflant, surréel. Nous continuons notre route sur environ sept kilomètres et là, nous arrivons au lac de Roselend et à son fameux barrage. Quelle vue ! Tout simplement hallucinant ! Après une visite du site, nous grimpons jusqu’au col du Pré (1 703 m) d’où nous avons une vue imprenable sur le lac.

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Lac de Roselend

De là, nous poursuivons notre chemin jusqu’à Albertville, ville hôte des Jeux olympiques de 1992. Située à la confluence de l’Isère et de l’Arly, Albertville marque la jonction des vallées de la Tarentaise, du Beaufortain et du Val d’Arly. Nous y arrivons pour le déjeuner. Malgré la température estivale, la ville est quasi déserte, les terrasses de restaurants à moitié vides. Nous nous installons à celle de la Brasserie de l’Europe, dans le centre piétonnier. Petit à petit, profitant de la longue pause du midi, les employés des bureaux et des magasins avoisinants affluent vers les terrasses des restaurants répartis autour de la place de l’Europe et de la place du Théâtre. Ça commence tranquillement à s’animer.

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Barrage de Roselend

Après une petite balade en ville, nous enfourchons nos motos pour rentrer à l’hôtel en passant par Moutiers et les stations des Trois Vallées, Bride-les-Bains, Méribel, Courchevel où j’ai skié à plusieurs reprises. Un détour nostalgique en quelque sorte.

Vendredi ! Nous sommes le 11 septembre. Jour noir dont je maudis le souvenir chaque année depuis 2001. Nous partons nous promener dans le sublime Parc de la Vanoise en passant par le col de l’Iseran (2 770 m), un des plus hauts d’Europe et un des plus spectaculaires. La route nous mène ensuite vers Bonneval-sur-Arc, Lanslebourg-Mont-Cenis, Saint-Jean-de-Maurienne et Alberville, encore. De là, nous piquons sur Beaufort et Bourg-Saint-Maurice, pour grimper au col du Petit-Saint-Bernard (2188 m), à la frontière italienne. Un aller-retour d’une cinquantaine de kilomètres qui prend presque deux heures. La D1090, la seule route qui mène au col, est hallucinante. Sur les 20 premiers kilomètres, jusqu’à La Rosière, elle tournicote inlassablement, dessinant des dizaines de lacets serrés. Une route de fou ! Que nous avons pris plaisir à faire dans les deux sens, après avoir rebroussé chemin au col. Nous n’avions pas le temps de pousser plus loin notre exploration en Italie. Je voulais revenir avant la tombée de la nuit. À un moment donné, j’avais quasiment le tournis. Pour une rare fois, je priais pour qu’une ligne droite se pointe à l’horizon, question de retrouver mon équilibre. Quelle belle fin de journée !

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Enfant, j’étais captivé par l’histoire du général phénicien Hannibal Barca qui, en 218 av. J.-C., a fait traverser les Pyrénées, mais surtout les Alpes — par le col du Petit-Saint-Bernard selon toute vraisemblance — à son armée et à des centaines d’éléphants lourdement chargés afin d’atteindre les plaines du Pô et livrer bataille aux légions romaines, lors de la deuxième guerre punique. Après avoir emprunté la D1090 et le col du Petit-Saint-Bernard, je suis encore plus admiratif des exploits d’Hannibal.

La Savoie charme, séduit, envoûte. Et pas seulement les motards. Si, comme moi, vous êtes un skieur invétéré, vous la trouverez sublime en toute saison. Je connais bien les stations de ski de la région (Les Arcs, Méribel, Courchevel, Les Menuires, Val Thorens, Tignes, Val d’Isère). Il s’agit d’un des plus beaux domaines skiables au monde et les routes pour y accéder sont carrément géniales en plus d’être variées.

Plein sud, vers la vallée de l’Ubaye

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Vue depuis le col du Galibier

Samedi 12 septembre. Nous devons rejoindre Pra-Loup, dans les Alpes du sud avant 15 heures afin de rencontrer la propriétaire du chalet que j’ai loué pour la semaine. Il s’agit d’une luxueuse demeure alpine pouvant accueillir douze personnes. Malheureusement, nous ne sommes que deux à l’occuper. Autant dire que Patrick et moi ne manquerons pas de place pendant notre séjour.

Il faut compter environ 4 h 30 pour parcourir les 300 km qui nous séparent de Pra-Loup. Pour pimenter le parcours, nous empruntons une portion de La route des Grandes Alpes, un itinéraire touristique de 720 kilomètres qui traverse les Alpes françaises du nord au sud en passant par 17 cols de montagne dont 6 à plus de 2 000 mètres d’altitude. Cette route mythique part de Thonon-les-Bains (sur le lac Léman) pour rejoindre Nice (sur la Méditerranée) en cumulant 17 000 mètres de dénivelé.

 Bonneval-sur-Arc

Bonneval-sur-Arc, Parc de la Vanoise

Notre itinéraire est magique. Il comporte une traversée du parc national de la Vanoise et du Briançonnais, en passant par le col du Mont-Cenis, Suze et Oulx, en Italie jusqu’à Briançon, puis Gap où nous rejoignons mon ami Christophe. Ensemble, nous piquons sur Barcelonnette par une route sublime. Nous arrivons juste à temps pour faire l’état des lieux avec la propriétaire, une femme dans la cinquantaine, affable et sympathique. Dans cette immense demeure alpine qui surplombe la station de ski des Molanes à Pra-Loup, nous pouvons prendre nos aises sans arrière-pensées. C’est un changement de décor, mais aussi de rythme. Le chalet sera notre camp de base. De là, nous partirons explorer la région sans bagages, légers et libres comme l’air. Nous délaisserons aussi les restaurants, même si la région regorge d’établissements gastronomiques, pour cuisiner nous-mêmes. Ce qui ne nous empêchera pas de manger comme des rois. Patrick et moi avons enfin chacun notre chambre et notre salle de bains privée. C’est le grand luxe !

Villar-d’Arène, Col du Lautaret

Villar-d’Arène, Col du Lautaret

Les Alpes du sud s’étalent sur les régions Provence-Alpes-Côte d’Azur et Auvergne-Rhône-Alpes. La ligne de crêtes séparant les Alpes du nord et du sud suit la limite sud du Vercors, passe par le col de la Croix-Haute, longe les crêtes sud du Dévoluy, franchit le col Bayard, puis les crêtes sud des Écrins et traverse le col du Lautaret et le col du Galibier. Cette limite correspond au partage des eaux entre les bassins hydrographiques de l’Isère et de la Durance. Le climat est provençal, chaud et sec. Le décor aussi. Les Alpes du sud présentent un relief très varié, avec des massifs frontaliers élevés et les Préalpes qui ressemblent beaucoup aux montagnes méditerranéennes. Un joli mélange entre les paysages de la Drôme et de la Provence, que je connais bien et que j’adore.

Ma chambre étant à l’étage, sous les toits, je peux désormais me lever tôt sans risque de réveiller Patrick qui dort au sous-sol. Je suis matinal et je peux enfin prendre mon café tranquille sur la terrasse en observant la magnifique vue sur le Chapeau du gendarme et le Pain de sucre, les deux monts qui dominent la vallée, face au chalet. Pour moi, le premier café du matin est un rituel. C’est celui qui chasse les mauvais rêves, qui me fait croire que la journée sera plus belle que la veille. Je le sirote généralement en solitaire, loin du bruit et des discussions stériles. En écoutant le silence et en respirant l’air frais. Seuls mes soliloques viennent perturber ma torpeur et ma tranquillité.

Patrick, Didier, Christophe au Col de la Bonette

Patrick, Didier, Christophe au Col de la Bonette

La vie est courte, mais le vrai problème c’est que nous gaspillons notre temps à faire des choses inutiles ou qui ne nous procurent aucun plaisir. Je décide donc de m’offrir du bon temps et de maximiser mon séjour dans ce coin paradisiaque en invitant quelques bons amis motards — Pascal, Olivier et Christophe — à venir rouler avec nous. Certains coucheront même au chalet. « Pour aller vite, voyage seul; pour aller loin, voyage accompagné ! » dirai-je pour paraphraser un proverbe africain. Ensemble, nous écumons ainsi les magnifiques routes des Alpes du sud et les nombreux cols de l’Ubaye — la Bonette (2 802 m), la Cayolle (2 326 m), Allos (2 250 m), Vars (2 109 m), Larche (1 991 m), Pontis (1 301 m) — ainsi que ceux du Briançonnais, plus au nord — Galibier (2 642 m), Izoard (2 360 m), Mont Cenis (2 083 m), Lautaret (2 057 m), Montgenèvre (1 850 m).

Avec Olivier, au Col de l'Izoard

Avec Olivier, au Col de l’Izoard

Les cols de Vars, de l’Izoard et de la Bonette sont des endroits sublimes. Durant cette semaine dans les Alpes du sud, nous les visiterons à plusieurs occasions, par pure gourmandise. Même chose pour la ville de Barcelonnette, dans la vallée où nous allons quotidiennement faire nos courses ou bien rencontrer Olivier qui passe trois jours dans sa maison de campagne située à une dizaine de kilomètres de là. Le télétravail a du bon, parfois.

Un voyage de rêve

La semaine s’est écoulée à la vitesse de l’éclair, sans que nous nous en apercevions. Le temps passe si vite quand on est en bonne compagnie. Il faut désormais remonter à Orléans, voir ma sœur, puis à Paris pour prendre notre vol de retour après avoir déposé la Africa Twin 1100 Adventure Sports chez Honda. Une journée de près de 900 km nous attend. Humide et pluvieuse. La seule de ce séjour. Nous arrivons à notre hôtel en fin d’après-midi, fourbus, mais secs. Et nous passons les deux derniers jours de ce voyage en famille et avec les amis dont nous profitons jusqu’au bout.

Col de l'Izoard, avec Pascal

Col de l’Izoard, avec Pascal

À l’occasion de ce périple, j’ai traversé la France du nord au sud et d’ouest en est. De la ville, à la mer, à la campagne, à la montagne. Ce faisant, j’ai suivi un itinéraire qui fait la part belle au réseau routier français, varié et plutôt sinueux. J’ai accumulé environ 3 000 km de routes de montagne, 1 200 km de routes de campagne, 1 000 km d’autoroute, 150 km de sentiers et 30 km en ville. En trois semaines, j’ai négocié des milliers de virages, des centaines de lacets de montagne, des dizaines de cols mythiques, j’ai contemplé des panoramas à couper le souffle et rencontré des gens merveilleux, libres et disponibles… Un vrai voyage de rêve, l’un des plus beaux que j’ai fait au cours de ces dernières années. Je me félicite vraiment d’avoir pris la décision de partir, envers et contre tout. Dans ces temps troublés, il faut profiter de ces occasions chaque fois qu’elles se présentent, car on n’a aucune garantie qu’elles se représenteront dans le futur. Ça serait une faute inexcusable de passer à côté. « Mieux vaut une bonne fuite qu’une mauvaise attente », disait Adrien de Montluc hédoniste devant l’éternel.

Col de la Bonette

Col de la Bonette

*Le syndrome de Stendhal, également appelé « syndrome de Florence », est une maladie psychosomatique qui provoque des accélérations du rythme cardiaque, des vertiges, des suffocations voire des hallucinations chez certains individus exposés à une surcharge d’œuvres d’art.

6 réponses à “L’aventure au temps du Corona…”

  1. Olivier Wagner

    Je ne regrette vraiment pas ces moments avec toi et Patrick. Ce ne fut que du bonheur et des moments de partage et d’amitié qui font vraiment du bien. Vivement la prochaine fois 😉

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    • Didier Constant

      J’espère que la prochaine fois arrivera très vite. À bientôt mon ami 😉

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  2. Patrick

    Un de mes plus beaux voyages !

    En plus d’avoir partagé cette aventure avec mon meilleur ami, j’ai rencontré des personnes intéressantes et sympathiques.

    Ma valeur première est la liberté. Voyager, se déplacer est l’expression ultime de la liberté. Ce n’est pas un hasard si je pratique le métier de routier maintenant. Ni que la statue de la liberté s’effritant soit tatouée sur mon torse, représentant la disparition graduelle de nos libertés.

    En ces temps d’allure apocalyptique, j’ai encore une fois mis en priorité mes valeurs et je suis passé à l’action. L’action et la prise de risque (quoique ici le risque était extrêmement faible) me fait avancer. Je peux constater, avec le recul, que malgré plusieurs échecs, j’ai gagné beaucoup plus que j’ai perdu.

    C’est pour cela qu’il allait de soi d’effectuer ce voyage, malgré les conditions incertaines. En plus de n’avoir eu presque aucune contrainte outre le port de masque en avion, j’ai vécu un des plus beau voyage à vie. Cerise sur le gâteau, j’ai eu droit au chalet à mon pain frais tous les jours, cuisiné par Didier.

    Bref je souhaite à tous de trouver courage d’oser faire ce dont il rêve. Essayez de faire quelque chose et cela peut se réaliser. Au contraire, en essayant rien, vous serez perdant à coup sûr.

    Au moment d’écrire ces lignes, la France venait de confiner sa population et un couvre-feu était en vigueur. Preuve que lorsque l’occasion se présente, il faut la prendre. Battre le fer quand il est chaud disait le forgeron.

    J’espère que je pourrai à nouveau voyager et aller rencontrer les gens que j’ai vue lors de mes (pas assez nombreux) voyages en Europe. En tout cas lorsque l’occasion se représentera, pas besoin de vous dire que je serai partant.

    Salutations
    Patrick

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  3. Joël GUILET

    Magnifique reportage (comme d’habitude…) dont la partie savoyarde m’a rappelé des souvenirs assez récents, au guidon aussi d’une Africa-Twin (mais moins récente !) lors de l’Africa-Twin Festival organisé par Fifi Vassard. La prochaine fois, tu me « ramasses » au passage ?

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    • Didier Constant

      Pas de problème, Joël. La prochaine fois je «ramasse» en chemin. Merci pour les compliments 😉

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  4. Robichaud Marie-Claude

    Merci pour le périple.Bien aimer ton introduction.
    Toujours aussi bon pour décrire le voyage vécu.

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