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T-SBK : un club pour « Gentlemen riders »

Marc-Olivier Labelle dans son habit de lumière.

Texte : Didier Constant — Photos : Pierre Geffrin (statiques) et Pierre Goyette (action)

Fondé en 2009, le club T-SBK est dirigé par Marc-Olivier Labelle. Beau gosse, la vingtaine glorieuse, sportif (il jogge tous les matins avec sa charmante compagne Marilou), Marc-Olivier est un passionné de moto possédant une solide expérience sur circuit. Ses excellentes relations avec Vince Loughran, le vice-président des opérations du Circuit Mont-Tremblant, lui ont permis d’organiser des journées de roulage sur cette magnifique piste privée de calibre international, blottie au cœur des Laurentides. Ce que plusieurs avant lui ont tenté de faire, sans succès.

Mais, les relations n’expliquent pas tout. En fait, ce qui a plu aux dirigeants du circuit — lequel est victime de nombreuses tracasseries de la part de la population locale qui aimerait bien se débarrasser de ce voisin gênant — c’est la formule préconisée par T-SBK. Il s’agit d’un club privé dont l’effectif est restreint à une soixantaine de membres. Ces derniers possèdent une grande expérience de la piste et une bonne connaissance du Circuit Mont-Tremblant. Une cotisation annuelle est requise et les membres en règle peuvent inviter des amis à se joindre ponctuellement à eux, après approbation du promoteur. Les invités n’ayant jamais roulé à Tremblant, doivent faire quelques tours derrière un instructeur pour apprendre le tracé et se familiariser avec la circulation en piste.

Le paddock est digne de celui du championnat canadien.

Le paddock est digne de celui du championnat canadien.

Le coût de l’adhésion annuelle (2 575 $ pour 8 journées en 2011 ou 365 $ la journée, pour un invité) est volontairement élevé afin de garantir le statut exclusif de T-SBK et d’assurer les membres d’un service de qualité. Ces derniers sont d’autant plus choyés que T-SBK adopte un format unique au pays, appelé « Open Track » (piste ouverte), sans groupes de niveaux, ni séances minutées. Les pilotes peuvent en effet entrer en piste quand ils le désirent, autant de fois qu’ils en ont envie et y rester aussi longtemps qu’ils le veulent. Pas plus de 35 pilotes sont admis en même temps sur le circuit. Quand ce nombre est atteint, vous derez attendre qu’un pilote sorte pour le remplacer. Là encore, la solidarité et la bonne entente entre les pilotes règnent. Quand une file d’attente se forme à la zone de départ, plusieurs pilotes sortent alors de piste, volontairement et sans rechigner, pour permettre aux autres de rouler. En deux jours, je n’ai jamais eu à attendre pour effectuer une sortie. Et je n’ai noté une file d’attente qu’à deux reprises. Tout un exploit!

Cette année, T_SBK proposait quatre séances de deux jours à son calendrier. Trois ont déjà eu lieu. À chaque occasion, Marc-Olivier affiche complet et doit même refuser des clients, à regret. Cependant, il reconnaît que cette exigence assure le succès de T-SBK et distingue le club des autres organisations au pays. « Au Québec et ailleurs au Canada, la plupart des promoteurs de track days fonctionnent sur le même schéma. Ils acceptent tous les pilotes désirant participer, parfois plus de 100 par jour, et les répartissent en trois ou quatre groupes (verts pour les débutants, jaunes pour les intermédiaires, rouges pour les experts et parfois noirs, pour les coureurs), selon leur niveau de compétence. Ensuite, chaque groupe passe 20 minutes en piste, à tour de rôle, tout au long de la journée. La formule est meilleur marché que la nôtre, mais les participants passent en réalité moins de temps en piste et s’exposent à des risques beaucoup plus élevés. Notre but n’est pas de faire du chiffre, mais de passer un bon moment en piste. Avec l’esprit tranquille. »

35 pilotes sont admis en même temps sur la piste. Pour entrer en piste quand le  quota est atteint, il faut attendre que plusieurs pilotes sortent et vous laissent  la place. Ce qui se fait habituellement de façon harmonieuse.

35 pilotes sont admis en même temps sur la piste. Pour entrer en piste quand le
quota est atteint, il faut attendre que plusieurs pilotes sortent et vous laissent
la place. Ce qui se fait habituellement de façon harmonieuse.

Cette formule permet en effet au promoteur de sélectionner des pilotes qui ont non seulement une bonne expérience de pilotage sur circuit, mais surtout une bonne attitude. Des gens conscients de leur situation et de leurs objectifs, qui ont également le souci de la sécurité. « Nous sommes ici pour nous amuser entre amis, pas pour gagner un championnat! avertit Marc-Olivier à l’occasion de la réunion des pilotes, avant le début de la journée. Certains sont plus rapides que d’autres, mais avec un minimum de savoir-vivre de la part de tous, nous pourrons nous faire plaisir en toute sécurité. La majorité d’entre nous devra aller travailler demain. Ce n’est pas le moment de prendre des risques inutiles. »

Si on en croit le promoteur, les accidents sont rares durant les journées T-SBK et souvent sans conséquences sérieuses. Ce dossier exceptionnel dans un sport réputé dangereux explique largement le succès rencontré par le club et la réputation dont il jouit dans la communauté, au Canada.

Réunion des pilotes, chaque matin à 8h30, sous la houlette de Marc-Olivier (de dos).

Réunion des pilotes, chaque matin à 8h30, sous la houlette de Marc-Olivier (de dos).

Les journées T-SBK débutent tôt le matin. Les grilles du circuit ouvrent à 7 heures. Vous avez alors deux heures pour compléter votre inscription, présenter votre moto à l’inspection technique, assister à la réunion des pilotes et vous préparer à prendre la piste. Le circuit est accessible de 9 h à midi, puis de 13 h à 17 h, avec une pause d’un quart d’heure en matinée et en après-midi afin de s’assurer que tout le monde, même les plus assidus prennent une pause de temps en temps.

En tant que directeur de l’événement, Marc-Olivier surveille les activités de près, entouré de son équipe. Sa mère et sa petite amie s’occupent, entre autres choses, de l’inscription des pilotes. Son père et sa compagne offrent un service de montage et de vente de pneus Pirelli destinés à la piste (voir encadré). Enfin, de nombreux bénévoles, souvent des membres, viennent donner un coup de main à Marc-Olivier, en particulier pour l’inspection de la piste le matin, le midi et en cas d’incident. Bien entendu, toutes les mesures de sécurité requises pour la tenue d’un tel événement (commissaires de piste, ambulances, communications radio) sont prises afin d’assurer la sécurité de tous. Quand la situation le permet, Marc-Olivier quitte alors sa casquette de promoteur pour enfiler sa combinaison de course et faire quelques tours rapides au guidon de l’une de ses motos. Et se faire plaisir…

Votre serviteur en action sur le Circuit Mont-Tremblant.

Votre serviteur en action sur le Circuit Mont-Tremblant.

« Notre formule plait énormément, admet Marc-Olivier. Certaines organisations, dont Pro 6 Cycle, en Ontario, ont commencé à l’adopter pour plusieurs de leurs événements. Je suis persuadé qu’elle offre plus de perspectives de développement que les journées ouvertes au grand public, sans restrictions. À long terme, on remarque que le nombre élevé d’accidents que l’on y observe décourage les motocyclistes sérieux de s’y inscrire. En plus, avec notre approche, les pilotes passent plus de temps en piste et peuvent développer leur pilotage à un niveau supérieur. Tout le monde est gagnant avec cette formule. »

Le succès de T-SBK ne fait aucun doute. Pour avoir pris part à un de leurs événements, je peux attester du sérieux de l’organisation et de la satisfaction des participants. Malgré le prix élevé payé par ces derniers, personne ne se plaint, bien au contraire. Et tous reviennent, journée après journée, pour retrouver l’ambiance exclusive et chaleureuse du club T-SBK. Pour ces « Gentlemen riders », l’argent n’est peut-être pas une priorité, mais s’ils favorisent T-SBK par rapport à d’autres organisations, c’est avant tout pour le traitement particulier qu’ils reçoivent, la camaraderie qui prévaut dans le club et le plaisir qu’ils en retirent… sans oublier le privilège de se mesurer les uns aux autres sur une magnifique piste, une des plus belles au Canada.

T-SBK ou l’esprit de famille

Au circuit Mont-Tremblant, notre collaborateur Pierre Geffrin a découvert la communauté
T-SBK (la famille T-SBK devrions-nous dire). Il nous dresse un portrait de certains de ses membres.

Ambiance détendue et vie de famille se mêlent à la passion de la moto, à T-SBK.

Ambiance détendue et vie de famille se mêlent à la passion de la moto, à T-SBK.

Des enfants en vélo, une jeune maman en VTT avec deux petits assis en arrière d’elle, une grand-mère avec son petit fils dans les bras, des adolescents la serviette sur les épaules, de retour de baignade dans le lac voisin, des chiens qui jappent, des odeurs de viande grillée… Le paddock de Mont-Tremblant a des airs de colonie de vacances. Des gens souriants, manifestement heureux d’être là. Avec, en bruit de fond, le rugissement des motos.

François, 37 ans, propriétaire d’une Honda CBR600RR, et Jocelyn, 41 ans, au guidon d’une BMW S1000RR (il tourne en 1’57 »), sont venus partager un bon moment entre copains, l’un avec femme et enfants, l’autre seul, cette fois-ci. Ils participent aussi à d’autres tracks days, en Ontario, à Calabogie et à Mosport notamment, comme la plupart des membres de « la famille », et effectuent ainsi une vingtaine de sorties par an. Ce qu’ils apprécient ici? François le résume en quelques mots : « Tout le monde ici a le même objectif : rester en vie et avoir du fun ». « J’apprécie ces journées, elles représentent toutes mes vacances! » renchérit Jocelyn. Et les différences de niveau? « Ce n’est pas un problème, car il y a un grand respect sur la piste… et rouler avec des pilotes très rapides est à la fois un plaisir et une leçon ».

François et Jocelyn participent aux journées T-SBK en amis. Pour le plaisir de se  retrouver sur une piste et s'adonner à leur passion commune.

François et Jocelyn participent aux journées T-SBK en amis. Pour le plaisir de se retrouver sur une piste et s’adonner à leur passion commune.

Parmi les pilotes très rapides, leur ami Érick Beauséjour (1’46 »), jeune retraité du championnat Superbike, aujourd’hui propriétaire de commerces, partage son expérience avec ceux qui le souhaitent en leur prodigant des cours. Lui aussi est venu avec femme et enfants, bien installés dans son rutilant camion Chevrolet.

Plus modeste, Sébastien (2’02 ») vient pour la troisième fois à Tremblant avec son antique Kawa ZX9 de 1998, à l’invitation d’un ami. Il aime ce circuit « parce qu’ici on peut rouler beaucoup grâce au système « piste ouverte »; je le vois au volume de carburant que je consomme ». Jeune ingénieur également amateur de voile — « j’ai commencé mes vacances à 7 nœuds, je les finis à 200 km/h! », sourit-il —, il a improvisé un couchage en diagonale à l’arrière de sa vieille Ford Mustang pour dormir au circuit et profiter de « l’esprit de famille ». « C’est 50 % du plaisir! ». Le coût exorbitant des immatriculations pour les sportives lui a fait renoncer à la conduite sur route et à sa Ducati 748.

À l’autre bout du spectre, Pierre, la soixantaine, est un dynamique grand-père (il tourne quand même en 2’01 »). Il a carrément intégré sa passion dans la stratégie de communication de sa florissante entreprise de transport (Dicom Express/Go JIT). « Précision, performance, qualité, sont les mots-clés du pilotage sur circuit, et la moto sportive véhicule des valeurs que nous pouvons partager aussi bien avec nos clients et fournisseurs que nos collaborateurs, et que nous utilisons dans nos publicités ». Pour lui, les tracks days sont des opérations de relations publiques qui lui permettent de recevoir divers partenaires dans cette ambiance si particulière… ce qui ne l’empêchera pas d’aligner les tours rapides avec ses fils Marc et François sur les quatre Honda CBR1000RR qu’il a apportées à Tremblant, pour l’instant sagement stationnées le long d’une semi-remorque digne d’une écurie de MotoGP. Venu avec toute sa tribu qui couvre trois générations, il est un des rares à dormir à l’extérieur du circuit « Ce n’est plus de mon âge! », affirme-t-il en souriant.

Le clan Dicom au grand complet, présidé par Pierre, au fond. Ses deux fils Marc et François roulent avec lui et ses petits-enfants suivent leurs exploits.

Le clan Dicom au grand complet, présidé par Pierre, au fond. Ses deux fils Marc et François roulent avec lui et ses petits-enfants suivent leurs exploits.

Pour les autres, tout ce petit monde se retrouve le soir venu autour des barbecues et de quelques bonnes bouteilles, toutes générations et tous niveaux de pilotage confondus, jusque tard dans la nuit. Parfois même très tard, si on en croit la rumeur qui circule dans le paddock en cette magnifique matinée d’août.

S’il fallait dresser un portrait-robot du pilote de T-SBK, je dirais qu’il s’agit d’un homme dans la cinquantaine, marié et père de famille, exerçant des responsabilités professionnelles et possédant une certaine aisance financière. Jocelyn, représentant type de la « famille T-SBK », estime à 20 000 dollars le budget annuel qu’il consacre à sa passion, achat et revente de la moto compris; Louis, propriétaire d’une compagnie de vente de piscines à Trois-Rivières, a dans son garage deux Ducati (une 999 et une 1098 maintenant réservées à la route), une Kawasaki ZX-10R et une BMW S1000RR, cette dernière étant entièrement dévolue à la piste…

 

Sébastien, l'ingénieur, devant son « luxueux motorhome ».

Sébastien, l’ingénieur, devant son « luxueux motorhome ».

Au-delà du stéréotype, dans la vie courante un monde sépare Sébastien, l’ingénieur et Pierre, l’homme d’affaires, mais à Mont-Tremblant, les barrières tombent, les différences s’effacent pour laisser place à une passion commune : celle de la belle trajectoire. En me promenant entre les véhicules et les remorques, les auvents sous lesquels de belles machines réchauffent leurs slicks enroulés dans des couvertures chauffantes et dont les génératrices ronronnent doucement, je croise des gens qui m’adressent un sourire, un salut amical. La famille est réunie, dans une parenthèse où les soucis et les tensions de l’autre vie n’existent plus, bizarrement loin de tout esprit de compétition alors qu’ils montent des machines de course, guidée par le seul plaisir de rouler vite et sans (trop de) danger. Demain, il faudra quand même aller travailler…

Témoignage

TSBK-12À fond la gomme à Mont-Tremblant!
Texte et photos : Pierre Geffrin

Sous un auvent encadré par son véhicule récréatif et sa remorque, Michel (photo ci-dessus) s’active dès le matin. En fait, il est souvent le premier debout. Mais pas question de le distraire pour autant. Notre homme est bosseur et sérieux! Il nous faudra attendre l’accalmie du milieu de matinée pour l’approcher. Là, le bonhomme, chaleureux, nous accueille avec un large sourire et Lise, sa compagne, nous offre un café. Michel est de tous les tracks days de T-SBK depuis que son fils Marc-Olivier en a pris la responsabilité il y a deux ans. Pourtant, Michel roule en Harley. Il a d’ailleurs le look qui sied à son choix de monture… Alors que fait-il sur un circuit de vitesse?

La réponse est simple : en semaine, Michel est l’heureux propriétaire d’un atelier de réparation moto et de montage de pneus à Brownsburg, dans l’Outaouais. Alors, c’est tout naturellement que Marc-Olivier lui a demandé de venir aider les pilotes à chausser correctement leurs machines.

« Je me suis organisé au fil des tracks days, maintenant ça roule! Mais cela me demande au minimum deux jours de préparation, entre le choix et la commande des pneus, la préparation du matériel, le chargement de la remorque… Là, j’ai apporté trois types de gommes en slick, des pneus pluie, des pneus de route : environ cinquante pièces, et encore, en me limitant à la gamme Pirelli. Plus ceux que les pilotes fournissent eux-mêmes! Hier, nous avons monté– car Lise met aussi la main à la pâte, NDLR –plus de quarante roues, y compris l’équilibrage, et pour ce matin nous en sommes déjà rendus à trente… Ici, les pilotes savent ce qu’ils veulent, et mon rôle de conseiller est plutôt limité, sauf pour les débutants ou alors pour aider à résoudre des problèmes spécifiques. »

Pour être efficace, Michel déménage le temps de deux jours son matériel d’atelier, qu’il a monté sur roulettes pour le déplacer plus facilement. Les pilotes ont ainsi l’assurance d’un travail professionnel! Est-ce que cela lui plait?« Énormément! Au début, c’était pour rendre service à mon fils. Mais aujourd’hui, je ne suis plus tout jeune et mon souhait est de laisser progressivement mon atelier pour ne plus faire que des tracks days. L’idéal serait que je puisse offrir mes services sur d’autres circuits pour compléter l’activité. » À bon entendeur…