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Objectif piste !

Photos © Didier Constant, Patrice Pinard

Les photos d’action et la vidéo qui accompagnaient le dossier de presse de la Scalpel — la future 790 Duke —, il y a deux ans, m’avaient mis l’eau à la bouche. Elles laissaient entrevoir une moto délinquante et affûtée que j’avais hâte d’essayer sur circuit. Look délinquant, taille de guêpe, position de conduite radicale, ADN sportif, commandes reculées, moteur vivant : la Duchesse fait hérisser les poils sur les bras des aficionados.

Pourtant, lors de mon essai routier, en mai dernier, la chimie n’avait pas complètement opéré. En raison d’une météo récalcitrante, de petits problèmes techniques et d’une attente démesurée de ma part. Je suis resté sur ma faim. Comme un amoureux éconduit.

Calabogie Woogie

Mais l’occasion de la rédemption s’est présentée, au début septembre, sous la forme d’une invitation de dernière minute à une journée de roulage VIP organisée par Pro 6 Cycle à Calabogie. Un de mes circuits préférés et le meilleur au Canada selon moi.

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Le Calabogie Motorsports Park abrite une piste rapide et technique à la fois. Elle mesure 5,05 km de long, 12 m de large et compte 20 virages (12 à droite, 8 à gauche), dont plusieurs aveugles, ainsi que 4 lignes droites qui permettent de mettre les moteurs à l’épreuve. C’est un tracé qui convient bien aux motos de classe ouverte et aux Superbikes, des machines puissantes et hyper affûtées qui parcourent le tracé en un peu plus de deux minutes pour les plus rapides. Pourtant, malgré sa simplicité apparente et sa puissance modeste (105 ch à 9 500 tr/min), la Duke y est à l’aise et fait l’étalage de l’éventail de ses possibilités.

Après avoir ramassé la 790 chez KTM Canada, je la prépare sommairement pour la piste : masquage des phares, des clignotants et des catadioptres avec du ruban adhésif toilé, pose des numéros de course (40, mon numéro fétiche), démontage des rétroviseurs, ajustement de la pression des pneus et des freins. Puis je l’embarque dans le Dodge ProMaster 2500 de location.

Calabogie

Vue aérienne du Calabogie Motorsports Park

En arrivant à la piste, le lundi matin, il fait beau, mais frais. Le thermomètre indique 3 degrés Celsius. J’ai mis ma tuque et je garde les mains dans les poches de mon blouson. Une quarantaine de pilotes sont inscrits à cette journée exclusive. Principalement des coureurs amateurs et pros, dont Ben Young, le champion canadien de Superbike 2019 qui est venu essayer la nouvelle BMW S1000RR dont il disposera l’an prochain pour défendre son titre.

Avec ma Duchesse en habits de rue, je me sens un peu comme un chien dans un jeu de quilles. Avec l’impression d’être un imposteur. Je dois être le seul pilote, à l’exception de mon ami Patrick qui m’accompagne pour l’occasion, à ne pas avoir monté de slicks — la 790 Duke est encore chaussée de ses Maxxis Supermaxx ST d’origine qui affichent 1800 km d’usure — ni de couverture chauffante pour les pneus. Sous ma tente paddock, deux chaises pliantes, un jerrican d’essence et un cintre pour faire sécher ma combinaison entre les sorties. Équipement minimaliste. Contraste frappant avec les superbes véhicules récréatifs attelés à des remorques fermées qui peuplent le paddock. On se croirait à une manche du CSBK.

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À 9 h 30, je m’élance en piste avec Patrick sur sa Yamaha R3 montée pour la course. On est quasiment seuls sur le circuit, tout le monde attendant que la température grimpe un peu plus. L’asphalte est à environ 13 degrés quand nous nous élançons pour deux tours de reconnaissance afin de nous refamiliariser avec le tracé et chauffer les pneus. Puis nous augmentons la cadence. Et là, le plaisir est au rendez-vous.

Habits de rue, ADN de piste

Pour cette journée VIP (pas de groupes, pas d’horaire), j’ai décidé de me concentrer sur le plaisir de conduire et de passer le plus de temps possible en piste. J’ai donc choisi la simplicité afin de ne pas perdre mon temps à explorer les modes de conduite, le traction de contrôle, l’ABS, l’antiwheelie ou le MSR (régulation électronique du patinage du moteur combiné à l’embrayage anti-dribble). J’ai donc opté pour le mode de conduite « Sport ». Ainsi réglée, la 790 Duke délivre toute sa puissance (105 ch), avec une cartographie d’injection sportive, une réponse de l’accélérateur ride -by-wire agressive, un antipatinage réduit (niveau 6 sur 9) et l’antiwheelie. De toute façon, la Duke est chaussée de pneus de rue taïwanais à vocation sport-tourisme. Autant ne pas tenter le diable.

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La position de conduite légèrement basculée sur l’avant est parfaite pour une utilisation sur piste. Grâce au large guidon tubulaire placé relativement bas (il est réglable au niveau du té de fourche), aux repose-pieds relevés et à la selle qui permet au pilote de se déplacer facilement et de déhancher sans contrainte, la Duke est facile à piloter. Elle est maniable, vive et précise. L’amortisseur de direction WP non ajustable contrôle les mouvements intempestifs de la colonne de direction et renforce la confiance que le pilote éprouve dans le train avant. D’autant que le châssis rigide s’avère précis et affûté. Sa géométrie de direction radicale (chasse de 24°, déport de 98 mm) et son long empattement de 1 475 mm lui garantissent un maniement sportif et une stabilité inattaquable. Deux qualités généralement antinomiques. La garde au sol abondante (les repose-pieds frottent seulement en conduite très agressive) permet d’exploiter le potentiel de la KTM.

La Duke penche toute seule. Il y a juste à pousser légèrement sur le guidon pour qu’elle s’exécute. Elle est vive dans les enchaînements et dans les virages serrés, aidée en cela par son poids tous pleins faits de seulement 185 kg. Et sa précision est quasi chirurgicale. Cependant, dès qu’on commence à attaquer, les pneus Maxxis Supermaxx ST montrent leurs limites, d’autant plus que l’asphalte du tracé de Calabogie est plutôt abrasif et sollicite énormément les pneus. Ils sont acceptables sur route, en sport-tourisme, mais pour le circuit, on leur préférera des gommes plus collantes, aux flancs plus souples, comme des Pirelli Diablo Supercorsa SP ou Diablo Rosso Corsa III. À leur défense, je dois reconnaître que je ne me suis pas fait de frayeurs avec les Maxxis (juste quelques petites glissades contrôlées, principalement le matin sur le bitume frais) et qu’ils n’ont ni bouloché ni bleui, ce qui est dû à la teneur exceptionnellement élevée en silice.

Au niveau de la suspension, la fourche inversée WP de 43 mm de diamètre, dépourvue de réglages et l’amortisseur WP réglable uniquement en précontrainte du ressort font du bon boulot sur le tracé en bon état du circuit ontarien. L’avant plonge un peu lors des freinages appuyés, ce qui limite nos velléités sportives. tandis que l’arrière est globalement bon dans les circonstances. Si vous avez l’intention de faire beaucoup de journées de roulage au guidon de votre Duke, je vous conseillerais cependant de remplacer les suspensions par des unités premium entièrement ajustables (WP Racing, Öhlins).

Belle usure des Maxxis qui ont fait leur boulot lors de ce roulage

Belle usure des Maxxis qui ont fait leur boulot lors de ce roulage

Le freinage est confié à des disques de fort diamètre (300 mm à l’avant, 240 mm à l’arrière) et à des étriers monoblocs quatre pistons, à fixation radiale, à l’avant, de marque KTM. Ces derniers sont fabriqués par la firme J. Juan Brake Systems (la compagnie espagnole équipe les ZX-R10RR de l’écurie officielle Kawasaki en WSBK). Leur mordant est bon — merci au poids plume de l’Autrichienne — et leur endurance également. Ils offrent une sensation progressive et une puissance de freinage suffisante. Pour un usage intensif sur piste, je remplacerais les plaquettes par des modèles « Racing » plus tendres et plus mordantes. On note au passage la présence de durites aviation en acier tressé et des leviers réglables de belle facture.

Le bicylindre LC8 n’est pas un foudre de guerre, mais il fait preuve d’un volontarisme apprécié. Grâce à son vilebrequin forgé calé à 75 degrés et à son cycle d’allumage tous les 285 et 435°, le twin vertical offre un caractère vitaminé et une belle sonorité, tout en affichant une faible inertie. Il monte rapidement dans les tours et fait montre de punch à moyen et haut régimes. Avec de délicieuses détonations d’échappement à la clef. Il faut néanmoins veiller à ne pas le laisser évoluer à bas régime, car le bicylindre manque de souplesse (il cogne en dessous de 3 000 tr/min sur les rapports intermédiaires) et est plutôt paresseux sous la barre des 5 000 tr/min. Au-delà, il se réveille et se montre joueur et performant. Avec une crête de puissance notable entre 8 000 et 10 000 tr/min. Il offre des reprises franches et des montées en régimes vives, mais il ne sert à rien d’étirer les rapports, car on frappe alors le rupteur qui se déclenche juste au-dessus de 10 000 tr/min. Ça m’est arrivé à quelques occasions dans la ligne droite entre les virages 4 et 5, mais aussi dans celle des stands. Toujours un peu frustrant ! La 790 Duke n’a pas la puissance brute de sa grande sœur, la 1290 Super Duke R, mais elle récompense les pilotes au style coulé qui favorisent des vitesses d’entrée et de passage élevées en virage, plutôt que ceux qui se fient à la puissance monstrueuse des motos de classe ouverte contemporaines pour réaliser des chronos canon.

Cravacher le petit bicylindre LC8 est un vrai plaisir, surtout en abusant du shifter bidirectionnel Quickshift +, léger et efficace (cette fois-ci, il fonctionne à merveille). Les rapports passent comme dans du beurre, sans qu’il soit nécessaire de recourir à l’embrayage, ni à la montée ni à la descente des vitesses, dans un bruit caractéristique envoûtant. Génial et addictif !

Karine Sliz, éditrice du magazine français Moto et Motards, en action lors de la 790 Duke Cup, au circuit Paul Ricard, en mai dernier

Karine Sliz, éditrice du magazine français Moto et Motards, en action lors de la 790 Duke Cup, au circuit Paul Ricard, en mai dernier — Photo © Didier Constant

Ready to race ?

Bien qu’elle soit avant tout une machine de route, la 790 Duke a le potentiel pour devenir une machine de piste performante et affûtée. Pour être vraiment « Ready to race », il ne lui manque pas grand-chose en fait. Il suffit d’installer des composantes de suspensions WP Racing ou Öhlins réglables en tous sens, des plaquettes de frein « Racing », des commandes reculées réglables et des pneus DOT à gomme sportive, voire des slicks si vous avez le niveau pour les exploiter. Ce qui revient à créer une version R (que l’on attend pour 2020, en toute logique). En France, KTM a créé quatre coupes monotypes, dont la 790 Duke Cup qui est disputée dans le cadre de la Coupe de France Roadster Cup WERC. Les modifications permises (suspensions, pneus, freins) transforment la Duke 790 en une authentique moto de course. J’ai pu assister à la deuxième manche de cette série, au circuit Paul Ricard, en France, en mai dernier et je dois dire que j’ai été surpris par le niveau relevé de la compétition et les performances de la Duchesse sur ce circuit long et rapide.

Lors de cette journée de roulage VIP, j’ai pu effectuer cinq longues sorties au guidon de la 790 Duke et vider un réservoir d’essence. Chaque sortie en piste a été un pur moment de plaisir qui m’a réconcilié avec l’Autrichienne.

Adéquatement préparée et équipée, la KTM 790 Duke livre toutes ses promesses. C’est une moto bien née qu’il convient de mettre à sa main pour en tirer toute la quintessence. Légère, agile, joueuse, délinquante, c’est sur piste qu’elle révèle réellement son caractère. Et qu’elle fait honneur à son surnom de « Scalpel » !

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Équipement du pilote

Verdict piste

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On aime bien

  • L’agilité et la vivacité
  • La précision et la rigidité du châssis
  • La convivialité
  • Le quickshifter bidirectionnel
  • Le moteur exploitable

On aime moins

  • Les suspensions non ajustables
  • Les pneus Maxxis Supermaxx ST

Vidéoclips