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Un Superbike pour s'amuser dans la bouette !

Par Costa Mouzouris — Tradaptation : Didier Constant — Photos : Alberto Cervetti, Marco Zamponi, Ducati

Le sentier est étroit, sinueux, ondulé, et caillouteux. Malgré le soleil du début de l’après-midi, une partie du chemin s’assombrit en passant sous un couvert d’arbres — on se croirait en pleine nuit. Debout sur les marchepieds, à une allure modérée, j’accélère fort pour grimper la pente. Parfois, je dois freiner à pleines mains pour négocier des virages serrés en descendant les collines. Certains virages sont en dévers et nécessitent du doigté et beaucoup d’équilibre pour éviter un détour involontaire par les bois. Il est relativement facile de diriger la machine à vive allure autour des rochers, mais si la vitesse est trop faible, je commence à me battre avec le guidon alors que la moto rebondit sur les obstacles au lieu de les survoler. En fait, sur ce terrain moyennement difficile, il est plus facile de piloter à des vitesses supérieures à 60 km/h, rythme auquel la Multistrada 1260 Enduro 2019 commence tout juste à atteindre sa zone de confort.

On ne s’attend pas à un tel comportement de la part d’un V-twin italien. Mais là, il s’agit de l’Enduro, la version double usage de la Multistrada. Introduit en 2016 en tant que modèle Ducati de tourisme d’aventure destiné aux pilotes à la recherche d’une moto offrant une puissance et une tenue de route dignes des Superbike de Bologne, mais avec des aptitudes au tout terrain supérieures à celles de la Multistrada standard, l’Enduro 1260 est une aventurière développant plus de 150 chevaux.

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La 1200 Enduro originale offrait plus de débattement de suspension que la Multistrada. Elle était également équipée de jantes à rayons de 19 pouces à l’avant et de 17 pouces à l’arrière, chaussées de pneus sans chambre à air, prêtes à mordre la poussière ! Son ergonomie était modifiée pour affronter les sentiers et elle se dotait de repose-pieds en métal dentelé, d’une plaque de protection moteur et d’un arsenal électronique sophistiqué spécialement adapté à l’aventure, où seuls les pneus à crampons ont droit de cité.

Nous sommes en Toscane pour découvrir la nouvelle Multistrada 1260 Enduro (24 495 $) sur une grande variété de routes et de chemins sur lesquels elle s’est révélée au moins aussi performante que le modèle précédent sur l’asphalte, malgré certains changements qui pourraient vous inciter à penser le contraire.

Une Strada plus routière

En s’adressant à des pilotes qui n’ont pas peur de se salir, il semblerait que Ducati ait été trop loin dans cette direction avec l’Enduro originale qui s’avérait un peu trop agressive pour le commun des mortels. En plus de l’adoption d’un nouveau moteur plus gros et plus puissant, la Multistrada Enduro redessinée a été légèrement améliorée. Elle est désormais plus conviviale sur route, notamment en termes d’ergonomie et de suspension.

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Apparemment, les propriétaires d’Enduro de la génération précédente trouvaient que la Ducati était trop haute et offrait une position de conduite trop redressée. Ainsi, pour 2019, la course de la suspension a été réduite de 15 mm aux deux extrémités et s’établit désormais à 185 mm, ce qui a permis de réduire la hauteur de la selle standard de 10 mm, à 860 mm. Si vous la trouvez encore trop haute, une selle accessoire plus basse de 20 mm est offerte. À l’inverse, si vous trouvez que vos jambes sont trop repliées, vous pouvez obtenir un siège plus haut de 20 mm. L’emplacement des repose-pieds n’a pas changé, mais les inserts en caoutchouc sont 10 mm plus bas pour un peu plus d’espace pour les jambes. Vous pouvez aussi les retirer pour une adhérence accrue en hors route. Le dernier changement ergonomique consiste en un guidon plus bas de 30 mm, ce qui me semble trop bas pour conduire en position debout. À mon avis, il faudra utiliser des rehausses de guidon ou remplacer le guidon d’origine. Sur la version précédente. Il était parfaitement ajusté pour piloter en position debout.

De la puissance à revendre

Le plus gros changement apparu sur l’Enduro 1260 est le nouveau moteur. Il s’agit du V-twin Testastretta DVT à longue course, de 1 262 cc, de la Multistrada standard. Il est associé à une boîte de vitesse dont le premier rapport a été raccourci pour négocier plus facilement les virages dans les zones boisées. Le rapport de transmission global a été réduit en ajoutant trois dents au pignon arrière. L’intervalle d’entretien des soupapes s’établit à 30 000 km.

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Le moteur revendique 158 chevaux et 94 lb-pi de couple. Seule la KTM 1290 Adventure S surpasse la Ducati, avec ses 160 chevaux et ses 103 lb-pi de couple. Bien que les valeurs de couple de l’Enduro 1260 soient identiques à celles de l’Enduro 1200, c’est la manière dont ce couple est délivré qui les distingue.

La courbe de couple de la version précédente plafonnait à 76 lb-pi en haut de 5 000 tr/min, pour atteindre progressivement son point culminant à 7 500 tr/min. Le couple de l’Enduro 1260 grimpe à près de 90 lb-pi dès 4 000 tr/min et culmine au même régime qu’auparavant, tout en restant plus longtemps à ce niveau avant de fléchir à des régimes plus élevés. En d’autres termes, le couple à mi-régimes du 1260 est massif. Malgré tout, le poids à sec des deux machines est identique, à 225 kg.

La géométrie de la direction est sensiblement la même qu’auparavant, bien que l’empattement ait été allongé de 36 mm pour s’établir à 1 592 mm. La Multistrada standard transporte 20 litres de carburant. Sur l’Enduro 1260, le réservoir offre une contenance de 30 litres, ce qui est énorme. Il est protégé par des couvercles en aluminium remplaçables, en cas de chute, même si tomber ne semble pas les endommager, comme l’a démontré un journaliste après avoir perdu l’avant à basse vitesse, à deux reprises, en hors route. On ne peut pas en dire autant des protège-mains/clignotants qui ont été cassés chaque fois lors de ces chutes. Un autre journaliste, propriétaire d’une Multistrada 1200 qu’il conduit fréquemment hors route, a attesté que sa monture était toujours équipée des protège-mains/clignotants originaux. Leur espérance de vie est donc directement liée à votre propension à chuter.

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La moto est toujours haute, mais vous vous intégrez mieux dans la machine, le large réservoir s’élevant bien au-dessus de la selle. De votre position, vous observez un nouvel écran d’instrument TFT couleur de 5 pouces. Les réglages de suspension, la cartographie du moteur, le contrôle de traction et les réglages de l’ABS, ainsi que les modes de conduite sont tous accessibles via cet écran à l’aide d’un commutateur à bascule situé sur le guidon gauche. Les menus sont nombreux, mais arrangés de manière intuitive. J’ai pu régler la Ducati à mon goût sans instructions ; il ne manque plus qu’un bouton d’accueil pour afficher l’écran principal sans devoir revenir en arrière dans les divers menus. Les modes de conduite peuvent être modifiés à la volée. Un port USB sous le siège et deux prises accessoires de 12 volts, l’une à l’intérieur du carénage et l’autre sous le siège passager, sont également inclus dans l’équipement de série.

L’électronique

La capacité de réglage de la machine est assez impressionnante. Il existe près de 400 combinaisons possibles rien que pour ajuster la suspension semi-active. Bien que chaque mode de conduite — Urban, Touring, Sport et Enduro — ait ses propres paramètres par défaut pour l’ABS, l’antipatinage, le contrôle de wheelies, la réponse du papillon des gaz, la puissance du moteur et les réglages de suspension, vous pouvez également ajuster les paramètres individuels dans ces modes de conduite. En mode Enduro, par exemple, j’ai changé la réponse de l’accélérateur de douce (par défaut) à moyenne et l’amortissement de la suspension de moyen et dur à l’avant et à l’arrière. Une fois que vous avez configuré la moto, ces paramètres restent actifs, même après avoir coupé le contact.

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Les modes de conduite comportent des courbes de puissance adaptées à chaque vitesse, vous n’aurez donc pas la même réponse de l’accélérateur en première qu’en quatrième. Cela permet une distribution de puissance agressive dans les rapports supérieurs sans être trop brutale dans les rapports inférieurs. Cette même technique est appliquée au frein moteur à commande électronique, ce qui permet un frein moteur plus agressif dans les rapports supérieurs que dans les rapports inférieurs.

La puissance maximale est réglée à 100 ch en modes Enduro et Urban, ce qui est amplement suffisant pour projeter des roches à l’arrière. Pour le hors route, nos motos d’essais étaient équipées de Pirelli Scorpion Rally. Sur les modèles de route, Ducati avait installé des pneus Pirelli Scorpion Trail II — la monte de série — dont les dimensions s’établissent à 120/70R19 à l’avant et 170/60R17 à l’arrière.

Le quickshifter bidirectionnel est standard et permet de monter et descendre les rapports à la volée (sans embrayage), ce qui est vraiment avantageux en hors route. Il suffit d’appuyer sur le levier de vitesses pour descendre un rapport instantanément sans perdre votre élan.

Dompter la bête

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Nous avons commencé ce lancement sur les routes sinueuses qui serpentent autour de Nipozanno. Des routes étonnamment cahoteuses et mal entretenues, comme celles auxquelles nous sommes accoutumés au Canada. Sur ces routes sinueuses, j’ai opté pour le mode Touring, qui offre un bon compromis de suspension et un accélérateur Ride -by-wire souple et facile à gérer. J’ai également testé le mode Sport, plus agressif et plus ferme, qui aurait été plus adapté à des routes en meilleur état ou à un rythme plus rapide.

La moto est haute et le centre de gravité élevé, ce qui rend les transitions rapides en virage un peu plus laborieuses. En effet, la moto décrit des arcs importants quand elle passe d’un angle à l’autre. Avec près de 160 ch à la poignée, la puissance n’est jamais un problème et le moteur tire vraiment fort, dès les bas régimes. Il ne s’essouffle pas, même lorsque le compte-tours atteint la zone rouge. La Multistrada Enduro possède la puissance d’un Superbike dans un châssis de moto d’aventure, ce qui est une excellente combinaison pour maîtriser les routes sinueuses, lesquelles ne se sont pas toujours lisses.

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En passant aux motos chaussées de pneus à crampons durant l’après-midi, on note immédiatement que ceux-ci ralentissent la direction et induisent un léger flou dans le guidage, même si on s’y adapte rapidement et sans problème. En revanche, le comportement en hors route est inattaquable et inspire confiance, même sur des chemins escarpés, rocheux et sinueux. De mémoire, je dirais que la suspension abaissée est un peu plus ferme que celle de la génération précédente, mais elle absorbe tout ce qui se présente sans rechigner. Même les sauts. La moto se dirige volontiers là où vous la pointez, mais vous devez planifier votre trajectoire avec soin, car vous manipulez une machine de plus de 225 kilos sur un terrain plus adapté aux monocylindres d’enduro.

En tout terrain, le plus gros problème provient du premier rapport écourté qui crée un écart important avec le second. Cela entrave la conduite à basse vitesse, car on doit passer à la vitesse supérieure souvent, la première générant trop de révolutions alors que la seconde est un peu anémique. La solution est soit de pousser le premier rapport jusqu’en surrégime, soit de passer en seconde et de laisser le moteur prendre ses tours librement, ce que j’ai choisi de faire sans que l’Enduro ne s’en plaigne.

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Le moteur de la Multistrada 1260 Enduro 2019 est une merveille. Il distille une incroyable puissance et une note d’échappement rauque. Je ne suis pas certain de saisir pourquoi Ducati a fait marche arrière en abaissant la selle et le guidon de l’Enduro. En effet, les pilotes désirant une moto plus routière peuvent se rabattre sur la Multistrada standard qui est conçue pour ça.

Heureusement, ces changements n’ont pas entamé les capacités tout terrain de l’Enduro et ont probablement rendu la moto plus accessible à davantage de pilotes. Vous pouvez toujours attaquer les pistes, les coudes relevés en projetant cailloux et poussière derrière vous. Et si vous décidez de faire une balade avec vos amis sportifs, le passage en mode Sport vous permettra de rivaliser avec les meilleurs d’entre eux en courbe. À condition bien sûr de chausser les pneus de série.

FICHE TECHNIQUE

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INFORMATIONS GÉNÉRALES

  • Poids tous pleins faits: 225 kg
  • Hauteur de selle : 860 mm (2 selles optionnelles — 840 mm ou 880 mm)
  • Capacité essence : 30 L
  • Consommation : Non mesurée
  • Autonomie : Non mesurée
  • Durée de l’essai : 250 km
  • Prix : 24 495 $

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MOTEUR

  • Moteur : Bicylindre en L, 4 temps, distribution desmodromique variable DVT, refroidi au liquide, 4 soupapes par cylindre, 2 bougies par cylindre
  • Puissance : 158,3 ch à 9 500 tr/min
  • Couple : 94,4 lb-pi à 7 500 tr/min
  • Cylindrée : 1 262 cc
  • Alésage x course : 106 x 71,5 mm
  • Rapport volumétrique : 13:1
  • Alimentation : injection électronique
  • Transmission : six rapports, avec quickshifter bidirectionnel
  • Entraînement : par chaîne

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PARTIE-CYCLE

  • Suspension : fourche inversée Sachs, diam 48 mm, complétement réglable; monoamortisseur Sachs complétement réglable. Ajustement électronique DSS Evo (Ducati Skyhook Suspension)
  • Empattement : 1 592 mm
  • Chasse/Déport : 25 degrés/112 mm
  • Freins : 2 disques de 320 mm et étriers radiaux monoblocs Brembo M4.32 4 pistons à l’avant; simple disque de 265 mm avec étrier Brembo double piston à l’arrière. ABS actif en virage de série.
  • Pneus : Pirelli Scorpion Trail II (Pirelli Scorpion en option)
    120/70 -19 à l’avant
    170/60-17 à l’arrière

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