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Tourisme extrême à l’Autrichienne

Photos : Dave Beaudoin, Didier Constant, Rudi Schedl, Studio Mac, KTM

Tête baissée pour ne pas me faire ralentir par la pression du vent, j’avale la 347, au nord de Val St-Côme, à vive allure. La chaussée bosselée secoue la 1290 Super Duke GT. Malgré ses suspensions semi-actives à ajustement électronique réglées dans le mode le plus sportif, elle se dandine un peu. Un poil souple. Nerveuse ! Derrière, Alain sur notre BMW S1000XR d’essai à long terme, me colle au train. L’Allemande est imperturbable, super stable sur ses appuis.

Au guidon de la KTM, j’éprouve un plaisir indescriptible ! Les sensations qu’elle distille sont intenses. J’ai l’impression d’être au guidon d’une moto de course dotée d’un grand guidon. Elle est compacte, vive, agile et hyper puissante. Le V2 crache ses 173 chevaux avec rage. Presque docile jusqu’à 5 000 tr/min, il explose passé 7 000 tr/min. Démoniaque ! Il accélère avec force jusqu’à 10 500 tr/min, vous arrachant quasiment les bras au passage. La roue avant se soulève à l’accélération sur les trois premiers rapports. Grâce à son shifter électronique de série, les rapports montent rapidement et avec précision dans un bruit caractéristique. Nul besoin de solliciter l’embrayage hydraulique à la montée des rapports.

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Sur le tracé sinueux et tourmenté de la 347, pas question de relâcher mon attention cependant. Sous mon casque, je sue à grosses gouttes. Et ce n’est pas seulement à cause de la température extérieure qui frôle les 30 degrés. J’en ai plein les bras et je cravache pour rester en avant d’Alain qui me suit, impassible. Quand je maintiens le moteur dans sa bande de puissance — entre 6 000 et 10 500 tr/min — c’est l’extase. Le nirvana ! Je suis aux anges ! Le V-twin est surpuissant et toujours prêt à s’emballer. Joueur ! Facétieux ! Dès qu’une ligne droite se profile, je me couche sur le réservoir et, en un instant, l’aiguille du tachymètre s’affole et grimpe à une cadence folle, comme si l’inertie du moteur était nulle. S’il existe des motos aussi puissantes, voire plus, peu arrivent à vous faire vibrer aussi intensément que la 1290 Super Duke GT. Et pourtant, il s’agit, selon la documentation de KTM, d’une moto de tourisme sportif destinée à voyager…

La « Bête » de somme

Il faut dire que la KTM Super Duke 1290 GT est dérivée de la Super Duke 1290 R 2014. Une machine surnommée « The Beast » que j’ai découverte dans le même environnement, il y a deux ans. Bien que la GT ait perdu 7 chevaux par rapport au roadster, elle n’en est pas une version affadie. En fait, elle conserve le même caractère rebelle, le même couple monstrueux de 106 lb-pi à 6 500 tr/min et le même rapport volumétrique de 13,2 : 1. Utilisation du super sans-plomb 91 obligatoire. Le haut moteur a été redessiné, tout comme le vilebrequin et l’échappement, alors que le système d’injection a été revu afin de permettre à la GT d’être conforme à la norme Euro 4. Le V2 autrichien semble mieux rempli à mi-régimes, mais broute encore en bas de 4 000 tr/min. Plutôt gênant, car à la vitesse de croisière légale de 100 km/h, en 6e, il tourne justement à 4 000 tr/min. Ce qui nous force à rester en 5e — avec pour conséquence d’augmenter les vibrations et la consommation d’essence — si on veut respecter les limitations de vitesse. Sur le dernier rapport, il faut évoluer à 130 km/h ou plus pour que le régime atteigne voire dépasse le cap des 5 000 tr/min.

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Au niveau de la partie cycle, les modifications apportées sont peu nombreuses, la plus visible étant l’adoption d’un carénage enveloppant à bulle réglable à la main (même en roulant) sur une hauteur de 140 mm, . Un carénage dont l’esthétique prête à discussions. Certains aiment, d’autres, plus nombreux, détestent.

D’autres modifications visent à renforcer la boucle arrière du cadre qui est allongée afin d’accueillir les valises latérales de 30 litres de contenance chacune offertes en dotation standard. Le passager, si vous en trouvez un suffisamment téméraire pour prendre place derrière vous, bénéficie désormais d’une selle mieux rembourrée et de poignées de maintien latérales (il en aura besoin).

Le réservoir à essence voit sa capacité passer de 18 sur la R à 23 litres sur la GT pour une autonomie accrue de 330 km, plus en adéquation avec la vocation de voyageuse de cette dernière.

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Sinon, les pneus Dunlop SportSmart 2 à gomme sportive de la Super Duke R font place à des Pirelli Angel GT plus orientés tourisme. Ils offrent néanmoins une excellente adhérence et permettent de rouler de façon agressive en toute sécurité.

Le système de freinage de la GT est identique à celui de la R et quelques options routières empruntées à la 1290 Super Adventure font leur apparition (régulateur de vitesse, clignotants à arrêt automatique, éclairage en virage, éclairage diurne à DEL, poignées chauffantes, guidon réglable, points de fixation des valises latérales, jantes alu).

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La centrale électronique de la R est reprise intégralement et offre 3 modes de conduite, un antipatinage MTC débrayable, des suspensions électroniques semi-actives WP, un système de contrôle de la pression des pneus TPMS (Tire Pressure Monitoring System), un système de contrôle de stabilité à capteur d’angles MSC, un système optionnel MSR (Motor Slip Regulation) empêchant le blocage de la roue arrière au rétrograde et un système optionnel de démarrage en côte HHC (Hill Hold Control). Sans oublier l’ABS débrayable, une prise 12 V intégrée et des poignées chauffantes de série.

Avec un tel arsenal technologique la GT n’a rien à envier à la R, pas plus qu’à certaines sportives ou GT du marché.

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La GT en mode balade champêtre

Nous avons profité de la présence dans notre garage d’une Suzuki GSX-S1000F et de notre BMW S1000XR, en même temps que la KTM pour organiser une balade sportive dans Lanaudière et la Mauricie. Un petit 450 kilomètres mené à un rythme sportif pour vérifier comment l’Autrichienne se débrouille en mode GT. Et nous n’avons pas été déçus…

Dès les premiers tours de roue au guidon de la GT, on se sent en terrain familier. L’assise a changé. Plus large, mais aussi plus ferme et, curieusement, moins confortable que sur le roadster. La hauteur de selle est inchangée à 835 mm, mais il faut bien lever la jambe quand on veut l’enfourcher, surtout avec les valises installées, au risque de les rayer d’un coup de talon. La position de conduite est très semblable, même si le guidon monté sur des pontets plus hauts est légèrement plus large et se règle sur quatre positions.

Et, comme la R, la GT invite à l’attaque. La moindre portion de chaussée sinueuse bien asphaltée se transforme en un terrain de jeu idéal pour la KTM dont le châssis intègre renvoie un maximum d’informations au pilote. Le train avant précis lui inspire confiance, tout comme l’adhérence des excellents Pirelli Angel GT qui permettent de sonder les limites de la garde au sol de l’Autrichienne, même si elle est un peu réactive sur chaussée endommagée. Vive et agile en courbe, la KTM est un charme à piloter agressivement. Elle se place en virage d’une simple poussée sur le large guidon Renthal et, une fois sur l’angle, elle s’y maintient sans broncher. Relativement légère malgré un gain de poids de 16 kilos, elle passe d’un angle à l’autre avec une facilité déconcertante. Un vrai vélo !

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Sur route plus roulante, la tenue de route reste impeccable, mais on découvre une protection perfectible. La bulle du carénage transmet pas mal de turbulences et de bruit, quelle que soit la position à laquelle elle est réglée. En revanche, les genoux et les jambes bénéficient d’un meilleur sort.

Sur l’autoroute, la Super Duke GT s’ennuie. À vitesse légale, son V2 ronronne et cogne si vous restez en 6e. Elle veut s’élancer en avant, dévorer l’asphalte et flirter avec des vitesses indécentes, au Canada en tout cas.

La partie cycle se tire magnifiquement d’affaire et le confort est très raisonnable pour une routière aussi sportive. Les suspensions semi-actives WP font de l’excellent travail et permettent à la KTM de s’adapter à son environnement routier en quelques millisecondes. Même en conduite sportive et poussées dans leurs derniers retranchements, sur chaussée déformée. Elles corrigent l’assiette de la machine en permanence, particulièrement dans les modes « Confort » et « Street » tandis que dans le mode « Sport », elles permettent de charger l’avant davantage au freinage et de compresser l’arrière à l’accélération.

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Gran Turismo Extrême

Équipée de ses valises de série et d’une sacoche de réservoir, la Super Duke 1290 GT se mue en machine de tourisme léger extrêmement performante et devient une GTX, nouvelle catégorie qu’elle inaugure, en compagnie de la BMW S1000XR et de la Ducati Multistrada.

Sportive, brutale, délinquante, la KTM est une véritable pousse au crime qui ne se destine pas au tourisme pépère à la Goldwing, pas plus qu’elle n’est à l’aise en compagnie des paquebots façon Concours 14. Son truc à elle, c’est l’attaque à outrance, de préférence sur les routes secondaires sinueuses et les routes rapides faites de grandes courbes négociées à haute vitesse. Elle veut de la place pour laisser son moteur s’exprimer, des virages appuyés pour démontrer l’excellence de son châssis, des buttes pour s’envoler, des grandes courbes rapides pour flirter avec des angles d’inclinaison indécents. Elle veut s’amuser. Tout le temps.

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L’Autrichienne ne fait pas dans la rectitude politique. Elle transforme chaque sortie en aventure jouissive. Chaque tronçon d’asphalte, même banal, en route à émotions. Avec elle, point d’ennui ! Conformément à l’ADN de la marque orange.

Offerte en deux coloris, gris ou orange, la Super Duke 1290 GT qui est arrivée chez les concessionnaires de la marque depuis quelques semaines seulement est proposée à 21 499 $, avec les valises de 30 litres de capacité chacune.

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Seconde opinion

Il y a de ces journées où on doit se botter les fesses pour se motiver à faire ce qu’on doit faire. Un exemple : ce lundi (Oui, oui ! En plus un lundi) où on m’a offert d’aller essayer une Super Duke 1290 GT ; j’ai dû me botter le derrière pour prendre le temps de déjeuner avant d’aller rejoindre le Boss !

Comme on avait trois motos à notre disposition cette journée-là j’ai feint d’être impartial et de ne pas avoir de préférence, mais quand mes deux comparses ont choisi les autres montures je dois avouer que ça faisait mon bonheur. Et malheur à celui qui aurait voulu me l’enlever plus tard dans la journée ! J’ai été bon joueur et me suis plié aux exigences du métier et partagé « MA » KTM pour quelques kilomètres en fin d’après-midi !

Richard en action sur la KTM 1290 Super Duke GT

Richard en action sur la KTM 1290 Super Duke GT

Il y a un cliché dans le monde du sport qui dit qu’on doit élever son jeu d’un cran pendant les éliminatoires ; la Super Duke GT est toujours en éliminatoires ! Elle veut qu’on lui en demande plus et elle répond toujours « présente » pour jouer jusqu’à ce que le pilote rende les armes et s’avoue vaincu. Même pour une personne sage comme moi, il est difficile de ne pas développer un comportement quelque peu délinquant à son guidon. Comme son gros twin apprécie moins les bas régimes où il broute quelque peu, on tord la poignée et passé les 4 000 tr/min la machine étale son immense talent. Même avec le silencieux d’origine le grondement est autoritaire sans être exagéré. J’aimerais entendre la symphonie du moulin autrichien avec un silencieux moins restrictif, mais je ne suis pas certain que la force constabulaire armée de sa broche l’apprécierait autant !

Cette moto est présentée par le manufacturier comme une « sport-touring » et effectivement la position de conduite est relaxe. Je n’ai pas ressenti de turbulences nuisibles malgré que le saute-vent soit court et la relation guidon/repose-pied/siège est suffisamment dégagée pour un grand « slack » comme moi. Pas de vibrations excessives ni trop de poids supporté par les poignets. Je me verrais bien traverser quelques provinces/états avec cette KTM mais à mon retour je devrais passer par la SAAQ et leur remettre en main propre mon permis de conduire…

— Richard Turenne

FICHE TECHNIQUE

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INFORMATIONS GÉNÉRALES

  • Poids à sec : 205 kg
  • Hauteur de selle : 835 mm
  • Capacité essence : 23  L
  • Consommation : 6,9 L/100
  • Autonomie : 330 km
  • Durée de l’essai : 435 km
  • Prix : 21 499 $ (avec les valises)
  • Coloris : orange/noir/gris

MOTEUR

  • Moteur : bicylindre en V ouvert à 75°, 4— temps, DACT, refroidi au liquide
  • Puissance : 173 ch à 9 500 tr/min
  • Couple : 106 lb-pi à 6 750 tr/min
  • Cylindrée : 1 301 cc
  • Alésage x course : 108 x 71 mm
  • Rapport volumétrique : 13,2 : 1
  • Alimentation : injection électronique
  • Transmission : 6 rapports, Quickshifter de série (pour monter les rapports seulement)
  • Entraînement : par chaîne

PARTIE CYCLE

  • Suspension : Semi-active (ajustement électronique) — Fourche inversée WP de 48 mm de diamètre, réglable en détente et en compression ; monoamortisseur WP entièrement réglable
  • Empattement : 1 482 mm
  • Chasse/Déport : 24,9°/107 mm
  • Freins : AV – double disque de 32 o mm, étriers radiaux Brembo à 4 pistons ; AR – simple disque de 240 mm pincé par un étrier double piston. ABS Bosch 9 M+ débrayable, installé de série, avec mode Supermotard
  • Pneus : Pirelli Angel GT
    120/70ZR17 à l’avant
    190/55ZR17 à l’arrière

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VERDICT RAPIDE

ON AIME BIEN

  • Les performances du moteur
  • La qualité du châssis
  • L’excellence des pneus Pirelli Angel GT
  • Les sensations de pilotage

ON AIME MOINS

  • La protection moyenne
  • La hauteur de selle importante
  • Les vibrations présentes à mi-régime
  • Le prix élevé

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