« Essais

Un flat-twin nommé désir

Photos: Dave Beaudoin, Didier Constant et BMW

Depuis une dizaine d’années, la mode est aux motos classiques et autres Café-Racers, spécialement en Europe où il s’agit d’un véritable phénomène. Il suffit de voir le succès d’événements comme les Coupes moto légendes, en France ou la prolifération de magazines consacrés aux motos classiques pour mesurer l’ampleur du phénomène. Initiée par les «baby-boomers», cette tendance nostalgique sur fond de «c’était mieux avant» a donné naissance à préparations plus ou moins réussies, mais aussi  à des motos néo-rétros supposées nous faire voyager dans le temps, en marche arrière. Quand les constructeurs emboîtent le pas aux préparateurs de tout crin, le meilleur côtoie parfois le pire. Car il n’est pas facile de combiner look à l’ancienne et performances modernes tout en restant fidèle à l’esprit des années 60/70.

Sexy Lady!

BWM n’est pas insensible à cette mode et a planché sur le sujet pendant quelques années, nous proposant même un prototype virtuel destiné à jauger le marché, en 2011. La R nineT est le fruit de cette réflexion. Et force est de reconnaître que la réponse du constructeur allemand est à la hauteur de nos attentes. La nineT est sublime. Son look fidèle à l’esprit «vintage» est franchement réussi et déclenche les passions. Partout où je me suis promené avec la BMW, les têtes se sont retournées sur notre passage; des automobilistes curieux m’ont interpellé dans la circulation pour savoir s’il s’agissait d’un nouveau modèle ou d’une préparation spéciale et des motocyclistes ont fait demi-tour après m’avoir croisé pour recueillir mes impressions. Même chose aux terrasses des cafés branchés du centre-ville ou au comptoir des Dairy Queen, en banlieue. Chaque fois on constate l’attrait qu’exerce le roadster de BMW sur les foules, qu’elles soient branchées moto ou non.

Avec sa ligne sobre, classique qui fait le pont entre classicisme et modernité, la nineT est sensuelle et désirable. Véritable éloge à la simplicité, elle allie un look branché et décontracté à un sentiment de liberté qui est appuyé par des critères plus ou moins tangibles tels que le plaisir de piloter, le design et une sonorité envoûtante. Toutefois, la nineT ne se démarque pas seulement par son design minimaliste, mais aussi par le fait qu’elle offre de formidables possibilités de personnalisation. La boucle arrière du cadre est amovible et permet d’adopter différentes configurations : selle double pouvant accueillir un passager (livrée d’origine), selle solo avec dosseret de type course ou encore selle monoplace avec section arrière tronquée. Le look est en outre bonifié par le sublime combiné cardan/monobras oscillant de type Paralever, côté droit et par l’échappement double superposé réalisé par Akrapovic, côté gauche. Les larges jantes à rayon complètent le portrait de façon admirable.

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À l’avant, la massive fourche inversée dorée, à poteaux de 46 mm qui rappelle les unités Öhlins haut de gamme sans en être une (elle ne possède aucun ajustement), le phare rond avec le logo BMW incrusté au centre lui donnent un air compact, ramassé qui lui sied à merveille. Son réservoir noir avec ses flancs en aluminium brossé à la main est tout simplement sublime. Tout comme le support de selle et les platines en aluminium, la visserie de type aviation, les embouts de guidon usinés et les supports du garde-boue avant, également en alu. La selle en cuir granuleux, soulignée de surpiqûres blanches est également de bon goût.

Le seul détail qui choque, à mon avis, ce sont les horribles rétroviseurs en plastique noir que l’on retrouve sur plusieurs modèles BMW récents. Au prix où la nineT se détaille et compte tenu de son esthétique réussie, elle aurait mérité de plus beaux rétroviseurs que ça. Ne serait-ce que des modèles ronds chromés, classiques. On déplore également quelques détails de finition négligés (habillage des compteurs en plastique, molettes d’écartement des leviers en plastique, fiches électriques mal camouflées) qui sont indignes d’une moto de ce calibre.

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La simplicité en exergue

Ce qui séduit les amateurs de motos classiques dans la BMW, c’est sa simplicité apparente. Au niveau de l’allure en tout cas. Le fait qu’elle ressemble à une vraie moto à l’ancienne, simple, épurée, efficace, sans carénage, ni porte-bagages, ni valises, ni accessoires en tout genre. Sur la R nineT, on trouve seulement le strict nécessaire : un moteur de caractère, un cadre intègre, un guidon large et deux roues magnifiques. Mis à part l’ABS partiellement couplé, seul emprunt à la modernité, avec l’injection, la Béhème fait l’impasse sur l’électronique. Pas d’antipatinage, pas de modes de conduite, pas de cartographies paramétrables, pas de suspensions assistées. Un choix que l’on applaudit franchement. Car il est bon, pour une fois, de pouvoir rouler à l’ancienne, l’esprit libre et de faire confiance à notre expérience plutôt qu’à des béquilles extérieures.

Le tableau de bord de la nineT, composé d’un compteur de vitesse et d’un compte-tours, propose un véritable voyage dans le temps et vient renforcer l’attrait visuel ultra-sobre et léger de la moto. Un écran multifonction est également intégré et fournit au pilote diverses informations utiles. Malheureusement, BMW n’a pas jugé bon d’inclure une de jauge à essence, préférant un compteur qui décompte les kilomètres nous séparant de la panne sèche.

Simple, la BMW est également facile d’accès. Avec sa selle basse et étroite à l’avant, on pose les deux pieds bien à plat au sol et on est en parfait contrôle de la moto. Tout serait parfait à ce sujet si les repose-pieds placés directement dans l’axe des jambes n’entraient pas en contact avec les mollets à l’arrêt.

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La position de conduite est classique, le buste légèrement incliné vers l’avant, les bras raisonnablement tendus et les jambes un poil repliées en raison des repose-pieds placés relativement haut. Avec la nineT, on est prêt à tailler la route avec style. Il suffit d’un casque ouvert classique avec une paire de lunettes aviateur, d’un blouson en cuir noir (ou brun) intemporel, de gants en cuir classiques, d’un jean renforcé et d’une paire de baskets de moto en cuir pour avoir l’allure qui convient au style de la moto.

Le ramage est à la hauteur du plumage

La R nineT est propulsée par la dernière génération du Boxer 4-temps, refroidi à l’air, à DACT et 4 soupapes par cylindre. Un moteur qui crache 110 chevaux à 7 750 tr/min et dont la sonorité est très réussie. En plus, il nous gratifie de pétarades à la coupure des gaz que je trouve très agréables et qui lui donnent un certain caractère. Sur la nineT, la sonorité du flat-twin est amplifiée par les échappements Akrapovic d’origine. Je ne sais pas si la marque slovène emploie des harmonistes, mais dans le cas présent, les flûtes de la Béhème sont parfaitement accordées et distillent une mélodie digne d’un orgue Casavant. Je n’ose imaginer ce que ça donne avec les échappements accessoires Akrapovic offerts au catalogue de BMW.

Un moteur à sensations

Lorsque j’ai ramené la nineT chez moi, pour la première fois, j’ai eu le sourire aux lèvres tout le long du trajet tellement les vibrations procurées par la Béhème étaient bonnes. J’avais le sentiment de me retrouver sur une ancienne R90S. Mais dotée d’une dose de modernité et de sophistication que les anciennes R ne possédaient pas. À l’arrêt, l’effet de couple de renversement semble plus présent que sur la GS, par exemple. En donnant des petits coups d’accélérateur, la moto paraît osciller davantage de droite à gauche que les flat-twins récents. Mais peut-être n’est-ce qu’une illusion causée par le look vintage de la moto? Car le comportement de cette dernière est bien moderne, même s’il perpétue l’héritage de BMW. L’effet du cardan est bien contrôlé, comme sur toutes les Boxer modernes, la boîte de vitesse est précise et ne claque pas et le moteur doux et docile prend ses tours facilement, sans rechigner. On décolle sur un filet de gaz. Le bicylindre est hyper souple. Il reprend sans broncher dès 1 500 tr/min et vous gratifie d’une bande de puissance très large qui s’étend jusqu’à la zone rouge, à 8 500 tr/min. Avec son couple important de 88 lb-pi à 6 000 tr/min, il tire avec conviction à bas et moyen régimes. Malgré sa puissance modeste, le Boxer n’est pas avare de sensations et il pousse fort. Il a été retravaillé au niveau de la transmission primaire et des rapports de boîte dans le but d’offrir des accélérations franches et des reprises canon. Il propose de plus une allonge incroyable et devient carrément joueur passé 7 000 tr/min. Et, ce qui ne gâte rien, la liaison entre l’accélérateur et la roue arrière est irréprochable. Le pilote sait à chaque instant de quel montant de motricité il dispose et n’a nul besoin de modes de conduite pour adapter l’adhérence à l’environnement ou aux conditions.

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Un châssis moderne qui n’aime pas être brusqué

En ville, la nineT se joue de la circulation. Elle est étroite, légère et se faufile dans le trafic avec aisance, aidée en cela par le large guidon tubulaire qui offre un effet de levier important.  Elle freine sur un dix cennes et fait preuve d’une maniabilité étonnante.

Sur les routes secondaires, la nineT est un vrai régal. Sa partie cycle moderne est saine, ce qui est rarement le cas sur les motos anciennes. Elle s’appuie sur un cadre treillis affûté dans lequel le moteur contribue à la rigidité. Et pour prévenir tout mouvement de la colonne de direction, un amortisseur de direction est installé de série. Le train avant, avec sa géométrie neutre, est précis et vif. On négocie les courbes serrées avec aisance et la moto se place sur l’angle au doigt et à l’œil. Une simple poussée sur le guidon suffit. Dans les grandes courbes rapides, la moto est stable et ne bouge pas outre mesure, mais elle n’offre pas la rigueur de la R1200GS, par exemple. En effet, le devant plonge de façon exagérée — inhabituel sur une BMW moderne dotée d’une suspension avant Telelever — au passage des bosses ou lors de freinages appuyés. Il faut dire que les étriers radiaux Brembo qui équipent la R nineT sont surpuissants et que la fourche qui est dénuée de réglages n’est pas au niveau du Telelever. L’arrière réagit mieux, même s’il tape un peu le cul sur chaussée dégradée. Il suffit d’ajuster la précontrainte du ressort pour tempérer ce comportement sec.

La nineT permet cependant d’adopter une conduite sportive et de se faire plaisir sur les routes sinueuses, à condition de ne pas la brusquer. En effet, comme ses aïeules, elle n’aime pas être bousculée. Elle préfère de loin un pilotage coulé, à l’ancienne. Les freinages de trappeurs, les accélérations de dragster et le passage des rapports à la volée ne sont pas sa tasse de thé. En fait, ce genre de conduite agressive la déstabilise et lui fait perdre de sa superbe. Ce n’est pas un roadster extrême, façon Super Duke 1290 R, mais une moto de caractère dont le moteur toujours disponible est doté d’une bande de puissance très large. Avec elle, on enroule du câble en douceur. Sur les routes sinueuses, on se cale sur un rapport intermédiaire et on danse d’une courbe à l’autre en modulant l’accélérateur et en freinant progressivement. On caresse la pédale de frein question de placer la moto sur l’angle et de resserrer la trajectoire. Sur l’autoroute, on cruise pépère en six en comptant sur les reprises fantastiques du Boxer lorsque vient le temps de doubler ou de s’extraire du trafic.

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Les pneus Metzeler Roadtec Z8 Interact qui équipaient notre monture d’essai procurent un excellent grip et facilitent la mise sur l’angle. Ils sont polyvalents et performent bien sur un large éventail de revêtements, mais aussi dans la plupart des conditions, même sur chaussée humide.

Confort respectable

Sans offrir le niveau de confort d’une R1200RT ou d’une R1200GS, voire d’une R1200R, la nineT se prête volontiers aux voyages de moyenne et de longue haleine. Elle affiche une ergonomie naturelle, avec une selle certes fine, mais bien conçue. Ni trop molle, ni trop ferme, ses rebords ne vous usent pas l’intérieur des cuisses. De prime abord elle semble plutôt spartiate, mais elle s’avère relativement confortable à l’usage. J’ai pu le vérifié lors d’une balade de plus de 400 km à son guidon durant laquelle je n’ai pas ressenti de douleurs particulières. Pour ce qui est du passager, il s’accommodera de courtes escapades ou de sorties  occasionnelles, la portion de selle qui lui est consacrée n’étant pas particulièrement accueillante. De plus, il ne dispose pas de poignées de maintien, mais d’une simple sangle.

En revanche, ce qui la distingue de ses sœurs routières, c’est son absence de protection. Comme sur la majorité des roadsters, le pilote de la nineT est exposé à la pression de l’air et au vent. À la pluie aussi. Mais l’air qu’il reçoit est exempt de turbulences. La pression de l’air sur le buste et le casque est tolérable jusqu’à 160 km/h. Au-delà, il faut baisser la tête et se faire tout petit derrière les compteurs pour contrer cette pression. Ou avoir un cou de taureau.

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Esprit vintage es-tu là?

Un look rétro qui évoque les années 60-70, c’est bien et c’est tout à fait dans l’air du temps, mais ça ne suffit pas à faire le succès d’une moto néo-rétro. Encore faut-il que les performances soient d’un bon niveau, que la tenue de route soit conforme aux standards actuels — ce qui, dans les deux cas, n’est pas un problème sur la nineT —, mais aussi que la machine renvoie des sensations dignes d’une moto classique. Là encore, la Béhème répond au cahier des charges. À son bord, la nostalgie fonctionne à fond et on fait le plein de sensations. On redécouvre des plaisirs oubliés, comme musarder le nez au vent sur les routes secondaires ou se tirer la bourre entre copains, à l’ancienne. Et pourquoi pas entre deux troquets? L’occasion de faire la nique aux Anglais et d’inventer le Bistro-Racer!

La nineT est vraiment dans l’esprit vintage. La magie opère chaque fois à son guidon. Grâce à la sonorité envoûtante de ses flûtes Arkrapovic, à son couple de renversement suffisamment présent pour vous ramener quelques décennies en arrière, à sa fourche qui plonge au freinage, à son caractère moteur affirmé, à sa tenue de route saine et efficace. Il s’agit d’une moto qui fait appel aux sensations du pilote, à son intelligence et qui lui demande d’exercer son jugement en tout temps. Ce n’est pas une moto d’ingénieur ou de «gamer» pilotée par un cerveau électronique. La nineT fait la part belle au pilotage et récompense son pilote par son comportement sain et prévisible. Avec elle, jamais de surprise. On est toujours en parfait contrôle. Elle propose un ensemble dynamique homogène et fait preuve d’un grand équilibre en toute circonstance. La R nineT est une moto qui flatte aussi bien nos sens que notre égo et qui nous fait oublier ses petits défauts. Curieusement, au Canada son prix est raisonnable, ce qui n’est pas forcément le cas sur d’autres marchés où elle commande un premium de près de 2 500$. Ici, elle se détaille 16 200 $, soit seulement 150$ de plus que la R1200R. À ce tarif-là, on souhaite seulement que BMW en ait suffisamment en stock pour répondre à la demande. Bien sûr, la nineT est proposée en plusieurs coloris : noir ou noir.

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Fiche technique

INFORMATIONS GÉNÉRALES

  • Poids tous pleins faits : 222 kg
  • Hauteur de selle : 785 mm
  • Capacité essence :  17 L
  • Consommation : 6,0 L/100
  • Autonomie :  283 km
  • Durée de l’essai:  1200 km
  • Prix : 16 200 $
  • Coloris : noir

MOTEUR

  • Moteur : bicylindre à plat (Boxer) 4-temps refroidi à l’air, DACT, 4 soupapes par cylindre
  • Puissance : 110 ch à 7 750 tr/min
  • Couple : 88 lb-pi à 6 000 tr/min
  • Cylindrée : 1 170 cc
  • Alésage x course : 101 x 73 mm
  • Rapport volumétrique: 12,0:1
  • Alimentation : injection électronique
  • Transmission : 6 rapports
  • Entraînement : par cardan

PARTIE CYCLE

  • Suspension : fourche inversée à poteaux de 46 mm; monoamortisseur et monobras Paralever
  • Empattement : 1 476 mm
  • Chasse/Déport : 25,5°/102,5 mm
  • Freins : AV — double disque de 320 mm pincé par des étriers radiaux à 4 pistons / AR — disque simple de 265 mm avec étrier double piston. ABS Integral de série (partiellement couplé)
  • Pneus : Metzeler Roadtec Z8 Interact
    120/70ZR17 à l’avant
    180/55ZR17 à l’arrière

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 VERDICT RAPIDE

ON AIME BIEN

  • La sonorité exquise du Boxer
  • Ses pétarades à la fermeture des gaz
  • La selle basse
  • Le charme qu’elle dégage
  • Les possibilités de personnalisation
  • Pas d’électronique, hormis l’ABS

ON AIME MOINS

  • Les repose-pieds mal placés qui gènent à l’arrêt
  • Les jantes imposant l’utilisation d’une chambre à air
  • L’absence de réglages sur la fourche
  • Rayon de braquage important
  • Les suspensions perfectibles
  • Quelques détails de finition négligés

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