« Éditos

Une industrie à court de carburant ?

Depuis une dizaine d’années, les constructeurs nous rebattent sans cesse les oreilles avec le « nouveau client » qu’ils veulent rejoindre — sans succès pour l’instant — et pour lequel ils produisent des motos que personne ne demande ni n’achète. Au début des années 2000, les femmes étaient leur cible de prédilection, suivie quelques années plus tard par les jeunes urbains et plus dernièrement par les hipsters. Malgré les nombreux groupes de recherche en marketing qu’ils créent pour déterminer le profil de ce nouvel acheteur et ses goûts, ils ne parviennent pas à l’identifier. En fait, ils n’ont aucune idée de ce à quoi il ressemble. Comme Keyser Söze dans « Suspects de convenance » (The Usual Suspects), le génialissime film de Bryan Singer.

Au début de l’année, le Motorcycle Industry Council (l’association des constructeurs de motos aux États-Unis, l’équivalent de notre CIMC, le Conseil de l’industrie de la motocyclette et du cyclomoteur) a réalisé un sondage auprès de jeunes nés entre 1980 et 2000, ceux de la fameuse Génération Y, qui montrait que près de 69 % d’entre eux étaient intéressés par les motos électriques. Huit mois plus tard, une enquête de l’agence Reuters auprès d’une quarantaine de concessionnaires Harley-Davidson sur les 150 que compte les États-Unis, révèle que la majorité des précommandes de LiveWire depuis janvier dernier provient essentiellement de motocyclistes âgés possédant déjà une moto ou effectuant un retour à la moto. Harley-Davidson, comme bien d’autres constructeurs d’ailleurs, peine à séduire les jeunes motocyclistes. C’est évident !

Dans le cas de la LiveWire, son prix prohibitif est le premier argument avancé par les Millennials pour justifier leur réticence (cette génération est frappée de plein fouet par la crise économique et est surendettée, en raison des prêts étudiants que les jeunes ont contractés pour accéder à une bonne éducation). Ils citent ensuite son autonomie ridicule et son obsolescence précoce.

Zero SRF 2020

Zero SRF 2020

Les premières conclusions que l’on peut tirer des résultats de ces deux études sont que la cible — le jeune motocycliste écolo fortuné — n’existe pas, mais aussi que les constructeurs ne parviennent pas à produire le véhicule électrique que les jeunes attendent pour passer aux deux-roues motorisés. Manque d’écoute ou erreur d’interprétation ? Toujours est-il que le message ne passe pas.

Historiquement, le succès de la moto en occident, depuis les années 40, tient à son accessibilité. À l’âge d’or de la moto, celle-ci était bon marché et coûtait beaucoup moins cher qu’une auto. Elle donnait accès à la mobilité à faible coût. Ce n’est qu’après que les jeunes ont découvert ses autres qualités et les plaisirs qu’elle offrait, dont cette fameuse liberté qui, à mon avis, n’en est pas vraiment une. Mais ça, c’est un autre débat que j’entamerai plus tard. On retrouve le même modus operandi dans les marchés asiatiques où la moto explose depuis quelques années. Au point de devenir le premier marché pour les constructeurs Japonais, mais aussi Européens et Américains.

Plus globalement, les jeunes se désintéressent de la moto. Soit par rejet — ils percçoivent la moto comme un sport ou activité d’une autre génération, celle de leurs parents —, soit par choix économique ou écologique. En effet, pour beaucoup d’entre eux, la moto est un mode de locomotion trop cher et dont l’impact écologique semble, à tort, néfaste.

BMW S1000RR

BMW S1000RR

En 2019, le succès de la moto repose encore sur les épaules des baby-boomers qui la soutiennent bec et ongles depuis plus d’un demi-siècle. D’un point de vue démographique, il s’agit d’une mauvaise nouvelle pour l’industrie de la moto qui est condamnée à voir sa clientèle baisser drastiquement au cours des prochaines années, principalement dans les pays occidentaux, en raison de la fin de cette vague générationnelle.

Aujourd’hui, selon les chiffres du CIMC, l’âge moyen du motocycliste canadien est de 52 ans. Il était de 47 ans il y a 5 ans, de 45 ans deux ans plus tôt et de 40 ans en 2000. Ce qui signifie que ce sont grosso modo les mêmes personnes qui conduisent des motos en 2019 qu’il y a 20 ans. Ils sont seulement plus vieux, mais aussi plus aisés financièrement, ce qui leur permet d’acheter des motos suréquipées, bourrées d’électronique. Des machines dont ils n’ont pas vraiment besoin, mais qui permettent aux constructeurs de générer plus de profits tout en vendant moins d’unités.

Mais le vrai problème qui guette l’industrie, c’est la baisse régulière de l’extraction du pétrole. Selon le dernier rapport de l’Agence mondiale de l’énergie, la production pétrolière baisse lentement mais sûrement depuis deux décennies et on assistera à un déclin rapide de celle-ci à partir de 2025. Un phénomène qui sera amplifié par l’explosion de la population mondiale. En 2018, la Terre abritait 7 570 457 268 habitants. En 2050, la population mondiale devrait atteindre 11 milliards de personnes. L’équation est simple : moins de pétrole extrait pour plus de clients potentiels égale pénurie de carburant. Ça ne présage rien de bon pour nous !

Solex 3800

Solex 3800

À l’horizon 2040, date choisie par certains pays européens pour cesser la production de véhicules thermiques, l’avenir n’est pas encourageant pour la moto. À moins d’un revirement soudain, elle sera alors réservée à une élite fortunée et les motos produites seront majoritairement des petites cylindrées consommant peu, soit aux alentours d’un litre au cent kilomètres  — le retour du Solex ? — ou propulsées par des énergies alternatives.

À cette date-là, si je suis toujours vivant, j’aurais 82 ans. Je serai peut-être moins touché par ces changements drastiques que les plus jeunes, si je roule encore à moto. En attendant, je pense à m’acheter une grosse sportive de plus de 200 chevaux pendant qu’elles sont encore en vente libre et la garder pour mes vieux jours ! Vive la moto !

Une réponse à “L’avenir de la moto”

  1. Pierre G

    Bonne analyse !
    Le 2 roues motorisé a assuré son développement comme outil bon marché de l’autonomie… Et puis ils ont vieilli, moi avec.

    3 autres aspects :
    – Le plaisir sur la route. La route de 2019 n’est plus celle de Kerouac. Elle est désormais truffée de radars et d’interdictions, et celui qui a l’impudence de s’y amuser est désigné à l’opprobre général. Et pire encore s’il met ses pneus à tétines dans « la Nature » !
    – L’usage plutôt que la propriété. « Faire » de la moto – ou du ski, du parapente, de la vidéo, du bateau : c’est cool. « Posséder » une moto, une paire de skis, une aile, un caméscope ou un voilier : c’est chiant.
    – Un monde d’experts. Tout connaître de la mécanique, des techniques de pilotage, des classements du SSP au MotoGP en passant par le MX et le trial, avec le pedigree des pilotes d’hier et d’aujourd’hui est l’apanage de passionnés, qui se régalent entre eux. Mais du coup cet entre-soi rend difficile l’accueil des néophytes, surtout s’ils sont jeunes.

    Idées pour de prochains éditos ?
    En tout cas, toujours un plaisir de te lire.

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