« Éditos

ou comment aller de soi à soi par les chemins détournés ?

Voyager à moto c’est plus qu’envoyer sa moto sur un plateau dans le sud des États-Unis pour aller jouer dans un bac à sable grandeur Nature pendant 15 jours. C’est plus que prendre l’avion pour une destination exotique et louer une moto sur place. C’est plus que partir en week-end en amoureux par l’autoroute et coucher dans des 5 étoiles avec piscine et resto gastronomique. Toutes choses agréables par ailleurs, mais qui constituent des balades ou du tourisme à moto. Le concept de voyage à moto c’est autre chose. C’est un état d’esprit, un mode de vie, une aventure. Le seul point commun entre les deux est la moto. Pour le reste, tout diffère.

Une expédition, ça se prépare. Et là je ne parle pas de mettre sa moto au point ni de planifier un itinéraire ni de s’équiper comme un milliardaire qui joue au baroudeur. Encore moins de partir en voyage organisé. Le terme constitue dans sa formulation même un abus de langage. Un oxymoron. Ça me rappelle la phrase de l’écrivain britannique Gilbert Keith Chesterton : « Le voyageur voit ce qu’il voit, le touriste voit ce qu’il est venu voir ! » 

Non ! En fait, je parle ici de préparation mentale. Avant de parcourir le monde et les sept mers, il faut être prêt à affronter l’inconnu, entreprendre un voyage initiatique au fond de soi-même et s’aventurer au bout de ses rêves. Se connaître pour voyager sans bouger, immobile et être en mesure de découvrir le monde et les autres l’esprit ouvert.

Rien n’égale l’instant magique qui précède le départ, ce moment chargé d’émotion et d’angoisses, mais aussi de promesses. Découvrir chaque jour de nouveaux horizons, de nouvelles expériences et anticiper le moment du retour afin de raconter à nos amis restés à quai les aventures merveilleuses que nous avons vécues, les gens passionnants que nous avons rencontrés.

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Mais cette anticipation est pour moi une expérience épuisante, moralement parlant. Avant chaque périple, je souffre d’insomnie. Je me vois mourir de toutes les façons possibles et inimaginables : un animal qui me coupe la route dans une forêt dense isolée du monde, un camion qui s’écarte de sa voie au dernier instant, un trou au milieu de la chaussée, invisible, des gravillons dans un virage que l’on découvre alors qu’il est déjà trop tard pour changer de trajectoire. Quoi qu’il en soit, le résultat est toujours le même. Je finis inerte, allongé sur l’asphalte ou dans un fossé. Même chose la veille d’une journée de roulage sur circuit. Parfois, je me demande si ces rêves au lieu d’être prémonitoires ne sont pas plutôt une façon de conjurer le sort, d’être plus éveillé, plus conscient quand vient le temps de prendre la route. Un pied de nez au Destin en quelque sorte. Surtout qu’à moto, plus on accumule d’expérience, plus on s’expose aux dangers. C’est un des paradoxes de la moto. La vie, comme le voyage est une suite de petites morts et de renaissances, un éternel recommencement.

Pour bien voyager, il faut aussi apprendre le sens du temps. Un millième de seconde est un abime quand il nous sépare d’une place sur le podium, mais un an est si vite passé quand c’est le temps qu’il nous reste à vivre. Alors, je me dis : « presse-toi lentement, prends la route et ne reviens pas tant que tu n’auras pas trouvé qui tu es ni où tu vas ». Il est important de faire la différence entre ces instants. Entre ces durées variables. En voyage, nous avons tout le temps devant nous. Notre but n’est pas d’arriver quelque part, mais de partir ailleurs. Ce n’est pas la destination qui compte, mais la route. Et si elle est pavée de bonnes intentions, détournons-nous-en. Elle nous mènerait à coup sûr en enfer.

L’important est de ne pas se retourner. Si notre passé est constitué d’une route unique que l’on a tendance à refaire chaque fois que la nostalgie nous gagne, il y en a une multitude en avant de nos pas. Il convient de choisir la bonne. On la reconnaîtra en y arrivant. Méfions-nous de ce que nous voyons dans les rétros. Les objets y sont plus près qu’ils ne paraissent et si nous nous fions à l’image qu’ils renvoient, nous aurons l’impression d’avoir été au bout du monde alors qu’en réalité nous n’aurons pas dépassé le coin de la rue.

Plus nous nous éloignons de chez nous, plus nous nous rapprochons de nos origines, mais aussi de notre fin. C’est un autre paradoxe qui se vérifie chaque fois, immanquablement. En revanche, si nous restons sur place, notre avenir est derrière nous. Nous sommes déjà morts avant d’avoir vécu. « Rester c’est exister : mais voyager c’est vivre » professait Gustave Nadaud, célèbre chansonnier du 19e siècle qui a entre autres inspiré le grand Brassens.

Au fur et à mesure que les villages défilent devant mes yeux, que je traverse des plaines, des déserts, des mers et des montagnes, je deviens un nomade rêveur, un Don Quichotte des temps modernes. Je lutte contre des moulins à vent. Je rêve à Dulcinée, la Dame de mes pensées.

Les fantômes de mon passé me suivent à la trace ou me guident vers mon destin selon que je les écoute ou que je les fuie. « Si tu voyages accompagné, inquiète-toi de ton compagnon », prétend un proverbe arabe. Surtout s’il s’agit d’un fantôme, serais-je tenté d’ajouter.

Quand la route m’appelle, je la suis sans remords. Infidèle, je me frotte aux inconnus que je rencontre, je pénètre leurs âmes et je m’imprègne de leur parfum. Pour ensuite partager tous ces nouveaux sentiments, toutes ces nouvelles odeurs, toutes ces nouvelles aventures avec mes amis. Ceux qui m’accompagnent en esprit ou en rêve ! Anges gardiens de mon âme vagabonde.

Plus je voyage, plus j’ai l’impression d’accumuler de connaissances, d’expériences, mais aussi d’intelligence. De mieux appréhender le monde. Peut-être n’est-ce là que prétention ou snobisme. Qui sait ?

Toujours est-il que je me nourris de ces voyages et qu’ils m’aident à passer au travers de l’existence. Entre deux périples, je meuble la vacuité du quotidien d’images rêvées et de souvenirs impérissables. Et je refais mon voyage intérieur.

« Seul celui qui a emprunté la route connaît la profondeur des trous », affirme un proverbe chinois. Et pour avoir parcouru mon âme à maintes reprises, je sais combien elle contient d’abimes insondables.

3 réponses à “L’ingénieux voyageur”

  1. Sylvain Duhamel

    J’adore

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  2. Sylvie

    Ses super mon bike et moi Et la route ses tout se qui conte

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  3. Georges MELA

    Un voyage de soi à soi, en fait de l’homme vers l’homme…
    C’est tout l’univers métaphysique qui s’ouvre lorsque l’on entreprend un périple parce que la moto est complexe et demande un engagement total. Que du plaisir? Certes beaucoup de plaisir mais pas que! On sonde son âme, on s’intériorise pour trouver des motivations face au danger et à l’inconfort. A chaque sortie on souffre et on échappe à son lot de faits divers, quelquefois ça ne passe pas bien loin!

    Ca me rappelle le temps où je ne vivais que pour naviguer à la voile au large, là où les dangers de la mer sont multiples et omniprésent. On en bavait en mer, et une fois revenus à terre, on en voyait plus que les mérites et le bien-être par un effet de sublimation partial.

    En ce moment même une poignée de marins engagés dans le Vendée-Globe naviguent dans les mers australes dans des conditions dantesques.
    Cela me rappelle parmi mes lectures d’adolescent, les récits hauturiers, des Gerbault, Moitessier et bien d’autres qui après leurs circum navigation s’entendaient pour dire à leur retour que le plus beau des voyages était finalement dans leur tête. Leurs routes, une forme de spéléologie horizontale entre mer et ciel, à s’aventurer dans un désert marin austral, à se chercher eux-mêmes. Cherchaient-ils aussi le divin et les mystères de la création, alors que les tempêtes des 50e hurlants couchaient leurs bateaux et les cloitraient dans leur cabine. Leur choix, persévérer dans leur folie et descendre encore plus bas, où remonter vers des latitudes plus clémentes. Qu’ont-ils trouvé dans cette épreuve d’ascétisme au milieu d’une immensité vide de sens et d’hommes. Etaient-ils arrivés au bout du monde, là où n’existent plus rien que l’océan primordial, le vent que nul continent n’arrête, le néant et le chaos. Etaient-ils arrivés au bout d’eux-mêmes, au bout d’une réflexion et d’une descente en soi, d’un positionnement par rapport au monde, qui leur faisait redouter le tumulte de la cité à leur retour.
    Il faut dire que si aujourd’hui nos GABART ou Le CLEAC’H font le tour du monde en moins de 80j, à l’époque de Moitessier il fallait plus d’un an!

    En moto même si c’est toujours un dépassement de soi, avec sa vie constamment entre les mains, il suffit de mettre pied à terre pour suspendre l’aventure et retrouver avec plaisir son humanité.

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