« Éditos

No future !

Cette semaine, deux nouvelles venues d’Allemagne m’ont amené à réfléchir à cette question. La première est l’adoption par le Conseil fédéral allemand d’une résolution visant l’arrêt de la production et de la circulation des véhicules propulsés par un moteur à combustion interne * d’ici 2030. Dans 13 ans à peine, donc. Autant dire demain !

Bien sûr, l’accord n’a pas encore été ratifié par le parlement allemand ni par la Commission européenne. Et les coûts énormes qu’engendreraient une mutation rapide vers le tout électrique à la grandeur de l’Europe pourraient retarder de plusieurs années, voire de plusieurs décennies la mise en place d’une telle mesure. D’autant qu’on n’a toujours pas développé de technologie de remplacement réellement écologique, fiable et bon marché. Car, quoi qu’on en dise, les moteurs électriques, à l’hydrogène ou encore l’utopique moteur à eau sont loin d’être arrivés à maturité et rien n’assure que les problèmes qui s’opposent aujourd’hui à leur diffusion massive seront résolus à temps pour la mise en œuvre de cette mesure. Néanmoins, la menace pèse et il faut être vigilant.

À ce sujet, il est intéressant de noter que malgré des incitations fiscales démesurées de 1,2 milliard d’euros (environ 1,7 milliard de dollars, soit près de 5 600$ par véhicule mis en marché) de la part du gouvernement fédéral allemand, l’objectif de mettre 300 000 véhicules électriques en circulation d’ici 2019 est loin d’être réaliste, si on se fie à un article paru dans le quotidien allemand Der Spiegel. Ce qui montre bien la résistance de l’industrie, mais surtout des consommateurs au concept du tout électrique.

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Projet BMW Vision Next 100

L’autre nouvelle, plus pernicieuse à mon avis, est l’annonce du projet Vision Next 100 de BMW. La présentation faite par le constructeur bavarois prête à sourire par son côté futuriste et par sa vision candide ; la machine de synthèse montrée dans le vidéoclip promotionnel ressemble étrangement à la moto du film Tron : Legacy, tout comme les vêtements portés par le sublime mannequin qui la chevauche. Mais, si on en croit le message véhiculé par ce clip, les motocyclistes de demain n’auraient plus besoin de porter de casque, car la moto ne pourrait plus chuter. Ni le vent souffler ni la pluie tomber d’ailleurs. Pas plus que les insectes ne voleraient et ne viendraient s’écraser sur le visage angélique de la conductrice.

Cependant, en dépit du côté risible de ce vidéo et du ridicule de la machine qui semble avoir été réalisée par un ingénieur junior sous l’effet de psychotropes puissants, c’est le recours à de nombreuses technologies automobiles — affichage tête haute (grâce à des lunettes connectées), connectivité « Cloud », prise de décision par le véhicule en cas de danger imminent — qui effraie dans le sens où cela marque une dépossession progressive et rapide du contrôle de la moto par le pilote au profit du véhicule.

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Tant qu’à piloter une moto autonome, je choisirais la Batmoto. Au moins, elle dispose d’armes pour qu’on puisse se défouler un peu dans les embouteillages.

On peut dès lors se poser la question de la pertinence ou de l’intérêt de conduire une moto autonome qui contrairement aux autos du même type présente peu d’avantages (on peut difficilement se livrer à d’autres activités que la conduite sur une moto).

Le plus symptomatique dans cette histoire c’est le peu de cas que les décideurs font de l’opinion des gens qu’on ne consulte pas sur des enjeux pourtant majeurs pour leur avenir, ou qu’on n’écoute tout simplement pas quand ils se prononcent. Aujourd’hui, nos sociétés sont sclérosées, soumises aux impératifs économiques de l’ultra libéralisme. On n’y respecte plus la voix du peuple (cf. le référendum sur la constitution européenne, en France) ni celle des nations (passage en force du traité de libre-échange CETA entre le Canada et l’Europe).

Au nom de la sécurité à tout prix, l’industrie va nous imposer des machines dont ne nous voulons pas et qui sont l’antithèse même de notre passion pour la moto. Le rapprochement de plus en plus grand qui s’opère entre les industries automobile et motocycliste se fait à notre détriment. La moto doit déjà beaucoup à l’auto. Trop diront certains. La prolifération rapide des aides électroniques désormais omniprésentes — pour ne pas dire envahissantes, voire castratrices — sur les motos récentes en est l’illustration parfaite. Elle signe, à court ou moyen terme, la mort de la moto. Surtout que nous sommes devenus apathiques, incapables d’improvisation, de rébellion ou de subversion. L’esprit punk est mort. Il ne reste que sa devise pour nous rappeler des jours meilleurs. No future !


* Petit rappel historique : le moteur à combustion interne a fêté ses 150 ans dans la plus grande indifférence en 2009. Il a en effet été créé en 1859 par le Français Étienne Lenoir, le concepteur du moteur deux temps. Huit ans plus tard, c’est-à-dire en 1867, l’Allemand Nikolaus Otto, le père de Gustav Otto, cofondateur de BMW avec Karl Rapp en 1917, inventait le moteur quatre temps. Quant au diesel, il a été mis au point en 1893 par un autre Allemand, Rudolf Diesel.

5 réponses à “La moto à l’aube de 2030”

  1. Pierre G.

    Bien d’accord avec toi. Et cela ne concerne – hélas – pas que la moto.

    Le fameux « principe de précaution », la recherche du « risque zéro », et le besoin maladif consistant à « établir les responsabilités » pour chaque incident, accident, maladie, font que finalement il ne reste plus de place pour la responsabilité individuelle.
    Nous créons ou acceptons une société d’irresponsables, puisque, c’est l’exemple ici, le fait d’éviter la chute à moto sera désormais sous la responsabilité des algorithmes du constructeur. Et – puisque les entreprises et les Etats jouent à la patate chaude – des gestionnaires du réseau routier.

    Au contraire, comme le préconise Gever Tulley*, rien n’est plus éducatif que de se mettre en danger.
    Prendre des risques, donc les gérer, c’est être responsable, savoir décider, tenir compte de son environnement, accepter l’échec…
    Evidemment, cela demande une progression, c’est pourquoi il faut commencer petit.

    * 50 Dangerous Things (You Should Let Your Children Do)
    http://apprendreaeduquer.fr/5-choses-dangereuses-que-vous-devriez-laisser-faire-a-vos-enfants/

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  2. Patrick L

    No future …

    Tellement vrai et ce à plusieurs niveau dans cette société qui va nul part sauf à sa perte.

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  3. Didier Constant

    Petite mise à jour

    Mon édito sur l’avenir de la moto au-delà de 2030 n’est ni pessimiste ni futuriste ni fantaisiste.
    Il est même plutôt assez réaliste me semble-t-il. Il se base sur des décisions annoncées, non sur des thèses de science-fiction. Ni sur un coup de blues causé par l’arrivée de l’hiver.


    Ce n’est pas un article à charge contre les véhicules électriques. Bien au contraire.

    Je n’ai pas d’à priori positif à l’égard du moteur thermique pas plus que d’à priori négatif à l’égard des véhicules électriques ou ceux propulsés par des énergies alternatives. Je suis même plutôt favorable à toute technologie qui réduirait notre dépendance envers les pays producteurs de pétrole. Ce serait, à mon humble avis, une façon simple et efficace de régler en partie certains problèmes criants auxquels notre société est confrontée.

    Demain, je suis prêt à adopter un véhicule électrique s’il me permet de faire tout ce que je fais aujourd’hui avec ma moto. Comme rouler 800 à 1 400 km sans devoir m’immobiliser pendant de longues heures en attendant que la pile de mon véhicule soit rechargée. Pouvoir accéder à l’énergie nécessaire à mes déplacements partout et à un coût raisonnable. Ne pas perdre de puissance lorsque mon moteur est soumis à des contraintes élevées. Et je pourrais poursuivre cette liste longtemps.


    Pour le moment, aucune technologie n’est suffisamment mature pour remplacer les énergies fossiles à court terme. Et il est important de le réaliser pour prendre des décisions d’avenir éclairées. De plus, dans l’état actuel des choses, rien ne garantit que les progrès technologiques requis auront permis de trouver une solution acceptable avant l’échéance irréaliste de 2030. Il faut donc poursuivre la recherche et donner aux scientifiques les moyens de trouver des énergies alternatives fiables, écologiques et économiquement viables. Peut-être que l’électricité n’est pas la panacée comme certains le prétendent ?

    D’autant que d’un point de vue écologique, décider d’arrêter unilatéralement et précipitamment la production de véhicules à moteur thermique pourrait s’avérer catastrophique. De nombreux pays ont de la difficulté, aujourd’hui, à répondre à leurs besoins énergétiques avec la seule électricité. Et encore moins avec une électricité propre et sans danger. Pour plusieurs pays européens, répondre à la demande qu’entrainerait le passage rapide à l’électrification des transports est utopique et ne pourrait se faire de façon réaliste qu’en recourant au nucléaire ou au charbon. Pour l’écologie, on repassera. Et je ne parle même pas des pays émergents qui n’ont déjà pas une production d’électricité suffisante. Pas plus que de la pollution industrielle causée par la fabrication des batteries nécessaires à ces véhicules ou leur recyclage.


    De plus, pour passer au tout électrique d’ici 2030, il faudrait renouveler entièrement le parc automobile en 13 ans. Et donc éliminer tous les vieux bazous, seuls véhicules que les plus pauvres d’entre nous peuvent acheter sans se ruiner. Comment assureront-ils leur mobilité — une notion à la base du développement de nos sociétés modernes — si, demain, on les prive de moyen de transport individuel ? Comment iront-ils travailler ? Comment voyageront-ils ? Comment vivront-ils ? A-t-on prévu de leur fournir des véhicules gratuitement pour les compenser du préjudice qu’on leur causerait ?


    Si l’électricité est relativement bon marché aujourd’hui (au Québec en tout cas, car ce n’est pas vrai partout), son coût explosera si elle devient demain la seule énergie disponible pour nous déplacer. Faites confiance au système et aux entreprises œuvrant dans le domaine pour saisir l’occasion de s’enrichir d’un monopole que nous aurons causé nous-mêmes.


    En fait, mon principal problème n’est pas le remplacement du moteur thermique, solution à laquelle je suis favorable si toutes les conditions sont réunies pour qu’il se fasse efficacement. C’est plutôt la volonté des politiques ou de certains lobbys de nous l’imposer par la force ou par la voie réglementaire qui m’inquiète.

    Si l’électricité est la voie de l’avenir dans le domaine des transports, qu’elle s’impose par ses qualités intrinsèques, par ses propres mérites et par la volonté du marché. Non par celles des élites dirigeantes. Un passage forcé au tout électrique laisserait de nombreuses personnes sur le bas-côté de la route. Incapables de se déplacer facilement, rapidement et à un coût raisonnable. Ce serait une source d’inégalité accrue entre les riches et les pauvres, mais aussi entre les pays occidentaux et le reste du monde. Et la dernière chose dont nous avons besoin en ce moment, c’est d’un accroissement des inégalités.

    L’autre point qui me chicote, c’est de nous voir déposséder de notre liberté de conduite en confiant à la technologie le contrôle des véhicules, sous prétexte que les accidents sont imputables au facteur humain. C’est oublier trop vite que l’Homme a la capacité d’apprendre et de s’adapter. De réfléchir aussi.

    Dans le cas des automobilistes — une catégorie dont nous faisons également partie — il est quasiment trop tard pour les sauver de la main mise de l’électronique. En revanche, nous pouvons encore, en tant que motocyclistes, lutter pour conserver le pouvoir de conduire nous-mêmes nos motos, même si c’est risqué, en tout cas plus risqué que de voyager dans un véhicule autonome. Mais pour cela, il va falloir nous battre. Car l’industrie motocycliste suit aveuglément l’exemple de l’automobile.


    Cordialement,

    Didier Constant

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  4. Bill Wilson

    Il ne faudrait pas oublier que c’est encore nous qui avons le dernier choix; sortir l’oseille pour créer la demande. Exemple: Tout ce qu’on n’a pas fait pour nous faire avaler la télé 3D, et elle est où maintenant?

    Acheter reste et restera toujours un geste politique.

    Bill (BMW R1200RT 2006)

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