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ou comment concevoir une moto classique moderne et efficace?

Photos: Didier Constant, Dave Beaudoin, Denis Vayer, Honda et DR

Ma Suzuki ne m’a pas coûté très cher, mais surtout, j’ai pu la moderniser facilement et à moindre coût. En tout et pour tout, elle me revient à un peu plus de 3500$, modifications incluses (peinture*, amortisseurs oléopneumatiques Fournales, ressorts de fourche progressifs Wilbers, amortisseur de direction, rigidificateur de fourche Tarozzi, leviers Pazzo Racing, durites de frein tressées, plaquettes de frein Carbone Lorraine Racing, échappement Remus, porte-bagages Hepco & Becker, tête de fourche Givi). Et il suffit que je la chausse de pneus de qualité — en ce moment elle roule sur des Michelin Pilot Road 3 — pour qu’elle affiche une tenue de route supérieure à l’origine et me permette de m’amuser à peu de frais.

Même si la Suzuki GSX-750AE Inazuma n’est pas une moto classique au sens propre du terme — pas encore en tout cas — elle reprend la philosophie et la technologie du genre sans les coûts faramineux et souvent injustifiés imposés par les motos cultes que sont les Honda 750Four, 900F Bol d’Or, 1000 CBX, les Kawasaki H2 et Z1, les Suzuki GT750 et GT500 Titan ou les Yamaha RDLC350, SR500 et XS650. Même les Superbike des années 70-90 qui se sont vendus à plusieurs centaines de milliers d’exemplaires à l’époque dorée des supersportives commencent à devenir des pièces recherchées et inaccessibles aujourd’hui. Et pourtant, il en pleut à tous les coins de rue.

Prototype de la Honda CB750 Four 1969

Prototype de la Honda CB750 Four 1969

Si la mode Vintage explique cette inflation galopante, elle est dure à justifier dans le cas de motos achetées à l’état d’épave parfois. Qu’une moto reconditionnée avec amour et professionnalisme par un spécialiste compétent vaille presque le prix d’une neuve, passe encore — il faut bien payer le coût des pièces de remplacement ou leur réusinage, le cas échéant, ainsi que le temps passé par le mécano ou le passionné de mécanique qui a travaillé dessus —, mais sur des mécaniques en piteux état ça frise carrément l’abus. Le tarif prohibitif des Anglaises des années 30 à 60 ou d’autres motos rares, comme la Honda NR750 ou certaines Italiennes (MV Agusta, particulièrement), peut s’excuser par leur rareté. Mais pas dans le cas des motos japonaises qui pour la plupart d’entre elles ne sont pas si rares que ça.

La nostalgie et la volonté insensée de vouloir revivre notre jeunesse, jumelée à l’infidélité de nos souvenirs, nous amènent à surestimer les performances anémiques et les qualités dynamiques médiocres de certaines de ces motos dont les lacunes originelles nous reviennent à la mémoire dès qu’on les pilote à nouveau et qu’on les compare aux machines récentes.

Justifier la valeur d’une moto d’époque remise à neuf sur l’authenticité de la réalisation est une aberration quand cela revient à cautionner des comportements et des technologies dépassées et peu efficaces, même pour l’époque. Les motos des années 70-80 étaient conçues par des esprits innovateurs qui nous trouveraient certainement rétrogrades de vouloir nous fixer dans un passé révolu au lieu de chercher à faire évoluer leurs réalisations et à les réinterpréter avec notre expérience, mais surtout en recourant aux techniques modernes. La modernité n’est pas forcément une mauvaise chose, contrairement au passéisme et à la nostalgie qui sont des valeurs négatives par essence.

La tendance du retour aux motos anciennes qui, à l’origine, avait pour but de rouler à moindre coût, a généré une inflation galopante qui touche maintenant des motos moins exotiques, moins rares, mais surtout moins performantes (Honda CX500, Kawasaki Z650, Suzuki GS750, Yamaha Seca 900). Ce coût est souvent enflé par la manie maladive de nombreux amateurs à reproduire ces machines à l’identique, jusque dans le moindre détail. Souvent en dépit de l’efficacité. Doit-on absolument être les victimes consentantes de ces ayatollahs du style «Vintage» ou plutôt nous libérer des contraintes du genre et recréer des motos passions fidèles à l’esprit de l’époque, mais techniquement viables aujourd’hui?

La mode Café Racer séduit particulièrement les jeunes qui y voient une façon de sortir de la norme (en s’enfermant dans une autre conformité) et d’échapper à l’omniprésence de l’électronique sur les motos modernes.

C’est la voie que tentent d’emprunter les Café Racers avec plus ou moins de succès. Pourtant, ils ne sont pas non plus épargnés par cette flambée des prix qui frôle la spéculation. Parce que certains opportunistes ont trouvé là une façon rapide et facile de faire du cash. Tant qu’il y aura des bobos ou des hipsters fortunés pour payer des prix de fou pour des motos qui ne les valent que très rarement, il sera difficile, voire impossible de trouver un beau Café Racer rétro à un coût raisonnable.

Cette mode a donné naissance à de magnifiques réalisations artisanales, des motos esthétiquement réussies et fonctionnelles (Roland Sands Design, Shinya Kimura), mais elle a aussi généré une foule d’horreurs bricolées dans des garages de fond de cour, des motos laides et dangereuses à piloter, des Scrambler improbables et des bobbers inconduisibles. La faute à certains «préparateurs» plus doués pour vendre des t-shirts, des blousons et des accessoires Vintage ou réaliser des films que pour fabriquer des motos, voire simplement les remettre en état de rouler. Aujourd’hui, au risque de paraître caricatural, il suffit d’avoir une barbe fournie, des tatouages plein les bras, une casquette et des jeans Levis avec les bords roulés sur des Converse ou des bottes de travail pour mériter le statut de «préparateur».

Pourtant, il existe des artisans sérieux et passionnés, des ingénieurs innovateurs qui travaillent dans l’ombre. Ils sont souvent pauvres et méconnus, contrairement aux «Deus Ex Machina» et autres «Wrenchmonkees» qui bénéficient d’une couverture médiatique indue en regard de leur travail et dont les réalisations se vendent parfois plus de 45 000$ US.

La Ducati GT1000 est une excellente Néo-Rétro, même si Ducati l'a retirée du catalogue.

La Ducati GT1000 est une excellente Néo-Rétro, même si Ducati l’a retirée du catalogue.

La mode Café Racers a également remis sur l’avant-scène certaines modes de mauvais goût, les pneus larges à l’avant, les pneus carrés à flancs blancs, les peintures pailletées, les vestes en coton d’Égypte enduites d’huile (Barbour, Belstaff), les Perfecto, les foulards, les bandanas, les casques ouverts dangereux et inefficaces — un de mes bons amis a dû subir une reconstruction faciale à la suite d’une chute à 25 km/h avec un casque ouvert et des lunettes d’aviateur —, et les visières bombées, autant de vestiges d’une époque révolue…

Dernièrement, l’essai de la nouvelle BMW R1200 nine-T m’a réconcilié avec les motos de type Néo-Rétro. Ces motos neuves qui ressemblent à des motos classiques et font appel à des technologies contemporaines semblent être un compromis valable, dans l’absolu, un qui m’intéresse. Malheureusement, mis à part les Ducati Sport Classic (malgré leur insuccès) et la récente BMW nine-T, que j’ai beaucoup aimées, ces machines ne livrent pas toujours la marchandise. Les Triumph Bonneville, Moto Guzzi V7 et autres Royal Enflied ont le profil de l’emploi, mais pas les aptitudes. Sous leur look rétro, se cachent des moteurs anémiques qui ne produisent pas les sensations de leurs illustres ancêtres et des châssis qui n’affichent pas les qualités dynamiques qu’on est en droit d’attendre d’une moto moderne.

Dévalorisées par les aficionados de motos classiques comme n’étant pas l’expression d’une passion authentique, mais celle d’une mode passagère liée au marketing, les Néo-Rétro pourraient cependant trouver leur juste place dans cette tendance nostalgique. Il suffirait que leurs performances soient en adéquation avec leur ligne pour qu’elles trouvent un public. Et dégagent enfin la mystique de leurs aïeules. La BMW R1200 nine-T est de ces machines qui peuvent réussir l’exploit. Elle est l’exemple parfait d’une réinterprétation réussie des classiques des années 70-80, une moto performante et attachante qui sait plaire autant aux Baby-Boomers nostalgiques qu’aux Hipsters en quête d’affirmation.

La BMW R1200 nine-T, une classique moderne et efficace

La BMW R1200 nine-T, une classique moderne et efficace

L’idéal serait de pouvoir utiliser la nostalgie comme point de départ d’une réflexion qui consisterait à concevoir des motos séduisantes, efficaces, économiques et performantes en s’appuyant sur ce que le passé a de mieux à nous offrir et en l’améliorant grâce aux connaissances actuelles et à la technologie moderne. Peut-être alors pourrait-on créer des motos capables de nous faire revivre des sensations originales… comme l’ont fait pour moi la BMW R1200 nine-T et ma fidèle Suzuki Inazuma 750 avec laquelle j’ai traversé l’Europe d’Est en Ouest et du Nord au Sud (j’ai parcouru plus de 30 000 km en trois saisons à son guidon à raison de 90 jours de conduite par année) en investissant moins de 3500$ et en ayant toujours un large sourire sur les lèvres. Pas mal, qu’en dites-vous?

* La peinture a été effectuée par les élèves du Lycée professionnel et technologique Maréchal Leclerc de St-Jean-de-la-Ruelle. 

3 réponses à “Nostalgie constructive”

  1. Krikri

    Merci pour cet article, Didier, qui mérite une actualisation : concernant les Blitz, l’imposture est évidente et a été dévoilée:

    https://www.facebook.com/media/set/?set=a.760812977274742.1073741952.183923204963725&type=1

    …et la résistance s’organise :

    https://www.facebook.com/pages/BEURK-Motorcycles/495050177261847?fref=ts

    Venceremos !

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  2. Jérôme

    Bonjour,
    Très bon article excepté lorsque vous parlez de coût faramineux d une Honda 900 vol d’or! On en trouve en bon état entre 2000-2500 euros ce qui reste relativement abordable au regard des performance et du look vintage de cette mythique superbike.
    D’autre part les Suzuki gs 750 sont finalement assez performante contrairement à ce que vous dite, même si bien sûr la gs 1000 est bien plus intéressante, et notamment la 1000 s.
    Cordialement,
    Jérôme.

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  3. Jérôme

    Il y a en ce moment sur le bon coin une superbe Suzuki gs 1000s, LA superbike du début des années 80, avec la bol d’or et la kawasaki Z1000… Seulement 2000 euros pour cette GS, qu en pensez vous? Personnellement des 3 c est ma préféré, super look et moteur très fiable.

    http://www.leboncoin.fr/motos/699664063.htm?ca=6_s

    Comme quoi elles sont encore abordables ces superbike. Mon pote à acheté il y a 6 mois une sublime 900 bol d’or pour 2000 euros aussi et elle marche du tonnerre…
    Merci pour cet article en tout cas. Très intéressant.

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