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La chasse aux démons mythiques

Mardi 2 octobre

Le concept de puissance excessive est un mythe. Comme celui qui veut qu’elle soit un facteur accidentogène. Aucune étude n’est parvenue, jusqu’à présent, à établir une corrélation entre la puissance des motos et les accidents. En fait, la perception du public et des autorités est faussée par le fait qu’ils basent leur réflexion sur des impressions plutôt que sur les faits eux-mêmes. Au nom du gros bon sens, d’une logique cartésienne dénuée de fondement scientifique, ils assument que plus la puissance d’un véhicule augmente, plus les risques qu’il soit impliqué dans un accident sont élevés, ce qui n’est pas appuyé par les faits. Tout comme, contrairement à ce que la SAAQ veut nous faire croire, ce n’est pas la vitesse qui tue, mais l’inexpérience, le manque de formation, la témérité et la stupidité.

Comme bon nombre de jeunes européens de ma génération, j’ai débuté ma carrière sur deux roues à l’âge de 14 ans, sur un cyclomoteur de moins de 50 cm3. Sur cette «bombe roulante» développant moins de 10 chevaux et atteignant péniblement 50 km/h, j’ai pris plus de risques et de fouilles que dans toute ma vie de motocycliste. Mais j’ai aussi découvert que les deux-roues motorisés étaient mon passeport pour l’indépendance et la liberté. Le premier cyclomoteur que j’ai piloté avait dix ans d’âge. C’était une Cady bourgogne appartenant à ma mère. Mais elle ne l’utilisait pour ainsi dire pas. Pendant six mois, avant d’avoir l’âge légal pour la conduire, je la démarrais tous les jours et je faisais le tour de la cour à la moindre occasion. Quand la date de mon quatorzième anniversaire est enfin arrivée, ma mobylette n’a plus connu un seul moment de répit. Trois mois plus tard, avec deux autres copains fraîchement motorisés, tout comme moi, nous sommes partis en vacances de Pâques sur nos montures démoniaques, sans parents, sans entrave. Ça nous a pris quatre jours pour parcourir les 400 kilomètres nous séparant de notre destination finale. Mais quelle joie ce fut.

À cette époque, quand nous parlions de notre prochaine moto, celle que nous pourrions nous acheter une fois le permis acquis, à 16 ans, nous rêvions d’une 125 rutilante. Pour certains, il s’agissait d’une Honda CB125, pour d’autres de la nouvelle Yamaha DT125, un modèle double usage fraîchement lancé et, pour les moins fortunés, d’une MZ 125, une moto basique d’Europe de l’Est, simple et économique. Aucune de ces machines n’atteignait les 25 chevaux, mais elles nous faisaient rêver. Puis vinrent la Honda CB750 Four, les Kawasaki trois cylindres deux-temps, puis la fameuse 900 quatre cylindres quatre-temps, la Suzuki GT750 refroidie à l’eau, ou encore la Yamaha RD350. D’année en année, la puissance des motos augmentait, au même rythme que notre expérience et notre habileté à les maîtriser. À la fin des années 70, la barre mythique des 100 ch semblait inatteignable pour le commun des motocyclistes. Nous pensions alors que personne ne pouvait raisonnablement maîtriser une telle puissance.

Une trentaine d’années plus tard, la moindre sportive de 600 cm3 dépasse allègrement les 100 ch, et les motos de petite et moyenne cylindrées ont virtuellement disparu du marché. Aujourd’hui, les 750 sont considérées comme des motos pour débutant. Néanmoins, si on tient compte de l’évolution du parc moto et du kilométrage parcouru, le nombre d’accidents ne cesse de diminuer depuis les années dorées de la moto. Il est vrai que les progrès technologiques accomplis au chapitre des pneumatiques, des freins, des suspensions et des parties cycles ne sont pas étrangers à ce phénomène, mais ce qui a profondément changé, c’est le comportement des usagers de la route, en général et des motocyclistes, en particulier. Il reste maintenant à mettre en place un système de formation et d’apprentissage adéquats pour permettre à chacun de rouler en toute sécurité, sur nos futurs monstres de plus de 200 ch. Quant aux experts auto-proclamés, ils devraient investir leurs énergies dans la promotion de la sécurité plutôt que de chasser des démons mythiques.