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PUISSANCE ET ACCIDENTS
Mythes et légendes de la route

En matière de sécurité, les idées les plus cartésiennes ne s'avèrent pas toujours vraies. Ce qui ne les empêche pas de faire leur petit bonhomme de chemin dans l'opinion publique et parmi les spécialistes. À cause de leur logique apparente. Ainsi, depuis quelque temps, on entend parler d'accès par étape à la moto (avec une limite de cylindrée de 400 cc pour les nouveaux motocyclistes). Pourtant de nombreuses études démontrent qu'il n'existe aucune corrélation entre la réduction du nombre d'accidents et la puissance (ou la cylindrée) des motos.

Par Bernard Marchand et Didier Constant

Au cours de la saison 2000, les motocyclistes ont été dans la ligne de mire des pouvoirs publics et de la presse. À la suite d'un début de saison catastrophique en ce qui a trait au nombre d'accidents mortels, chacun a pris à son compte de régler le «problème» motocycliste. Et d'avancer des «solutions miracles». Ainsi, le coroner Gagné a recommandé à la Société de l'assurance automobile du Québec (SAAQ) de limiter la cylindrée des motos pour les nouveaux conducteurs à moins de 400cc. La SAAQ et la table de concertation regroupant des intervenants du monde de la moto ont mis sur pied un comité «juridico-technique» afin d'étudier cette recommandation qui traduit de bonnes intentions mais démontre aussi une méconnaissance flagrante de la problématique motocycliste. Ce qui n'empêche pas un grand nombre de «spécialistes» de la moto et de motocyclistes expérimentés de reprendre cette idée à leur compte.

Pourtant, aucune étude n'a à ce jour démontré de lien entre la puissance des motos et la fréquence des accidents.

Une enquête européenne commandée par le Directorat général III (Industrie) de l'Union européenne afin d'examiner s'il existait une corrélation entre le nombre des accidents et les motos dont la puissance excède 74 kW (100 bhp) a mené à la publication d'un rapport appelé le TNO Report en anglais. La première phase de celui-ci comprend une enquête sur les textes des études existantes et sur les facteurs qui seraient susceptibles d'avoir une influence sur les accidents de motos. La conclusion de cette enquête est qu'il n'y a pas de preuve scientifique qui suggère que la cylindrée ou la puissance constitue un facteur important dans les accidents de motos.

Cependant, dans la phase B du rapport, soit celle du parcours des études statistiques et des bases de données, les enquêteurs ont découvert des corrélations significatives entre la cylindrée et le nombre d'accidents de moto mais les bases de données étudiées ne tenaient pas compte du kilométrage annuel, qui est une mesure du risque d'exposition aux accidents et un facteur influent.

Indépendamment de la source des données, ces études démontrent qu'annuellement plus de motos puissantes sont impliquées dans les accidents mortels ou graves. Ce qui s'explique par leur utilisation différente et par les caractéristiques des motocyclistes qui les pilotent. Selon les enquêteurs, les principaux facteurs significatifs dans les accidents de motos sont:

  • l'âge du motocycliste,
  • son expérience,
  • le kilométrage annuel parcouru.

Des conclusions que l'on retrouve aussi dans le rapport Hurt (une enquête américaine publiée au début des années 80) qui démontrait déjà à l'époque l'importance jouée par l'inexpérience et le manque de formation spécifique:

  • les jeunes motocyclistes sont sur-représentés dans les accidents;
  • plus les motocyclistes sont jeunes, plus le risque d'accident avec dommages corporels est élevé;
  • plus de la moitié des motocyclistes impliqués dans un accident possèdent moins de cinq mois d'expérience sur la moto avec laquelle ils ont eu leur accident, bien que leur expérience de conduite soit de près de trois ans;
  • l'ensemble des motocyclistes impliqués dans des accidents démontrent des carences de pilotage importantes. La plupart freinent de façon exagérée de la roue arrière, ce qui provoque invariablement un dérapage, et ne freinent pas assez fort de la roue avant. Leur habileté à esquiver ou à contrebraquer est souvent déficiente;
  • les motocyclistes ayant récemment reçu des contraventions ou ayant été impliqués dans des accidents sont sur-représentés dans les accidents de la route.

Le TNO Report, après avoir parcouru les diverses études, affirme qu'une nouvelle étude aurait une «opportunité très limitée (théorique) de trouver un lien ou une corrélation scientifique entre la cylindrée, ou la puissance et les accidents de motos.» En ajoutant que «l'âge du pilote, son expérience, son kilométrage annuel et son attitude mais aussi la situation sur le site de l'accident, le temps, etc. sont parmi les nombreux facteurs accidentogènes. Lorsque des mesures sont entreprises pour limiter la puissance maximale des motos, comme c'est le cas en France où la puissance des motos est limitée à 100 chevaux, cela n'a pas pour résultat de modifier les attitudes ou les comportements des motocyclistes, par exemple. Lesquels ont une influence majeure sur les circonstances des accidents. Comme l'affirmait dans un ouvrage intitulé «L'expertise judiciaire des accidents d'automobile - ƒvolution des méthodes» l'expert français Robert Debras, en 1968. «...l'ignorance ou la méconnaissance des principes de base de fonctionnement d'une moto conjuguée à l'aisance relative avec laquelle les motos contemporaines se pilotent nous donne l'illusion d'être de meilleurs conducteurs que nous le sommes en réalité. C'est cette croyance qui est dangereuse, car elle n'est pas loin de conduire à l'accident immanent par l'incapacité innée d'apprécier le jeu des lois naturelles, les forces d'inertie, l'adhérence, la vitesse critique et par la méconnaissance de ses propres limites, de son émotivité, de son manque de sang-froid...»

Le TNO Report ajoute que «des motos relativement plus légères, dont la puissance se situerait en deça des 74 kW (100 bhp), ont une puissance d'accélération suffisante (ce qui signifie que la vélocité et l'accélération maximales sont encore excessives). Donc, cela signifie le nombre d'accidents ne sera que faiblement influencé par les restrictions à la puissance du moteur.»

En plus des trois principaux facteurs énumérés plus haut, à savoir l'âge du motocycliste, son expérience et le kilométrage annuel parcouru, le rapport en ajoute sept autres: l'attitude du motocycliste, le genre de routes, le site de l'accident, le temps qu'il faisait et l'état de la route, l'heure de l'accident, l'alcool et la visibilité. Le rapport souligne que ces facteurs sont reliés aux motocyclistes et aux données traitant des circonstances et de l'exposition aux accidents. Plusieurs de ces facteurs ont une corrélation élevée. Cependant, aucun n'est relié aux propriétés de la machine telles que la cylindrée, la puissance ou le rapport puissance-poids.

Si les grosses motos sont plus fréquemment impliquées dans les accidents, comme le TNO Report l'a souligné après avoir parcouru des études d'accidents, c'est que ces motos ont un profil d'utilisation dans lequel le kilométrage augmente avec la cylindrée ou la puissance. Le taux d'accident, lorsqu'il est pondéré par le kilométrage annuel, combine évidemment les deux facteurs; ceux-ci réduisent l'influence de la cylindrée sur le taux d'accident. Le rapport le répète plus loin: «La conclusion de l'enquête sur les textes est qu'il n'y a pas d'évidence scientifique que la cylindrée est un facteur important dans les accidents de moto; la cylindrée n'émerge pas comme un facteur de risque séparé. Les nombreuses études dans plusieurs pays et sur plus de dix ans, ont démontré que le risque d'accident en fonction de la distance parcourue n'est pas influencée par la cylindrée du moteur, la puissance du moteur ou le rapport poids-puissance.»

En regard du comportement et des attitudes des motocyclistes, le rapport affirme que ceux qui utilisent souvent le potentiel de puissance de leurs motos ou qui prennent des risques ne changeront pas d'attitude ou de comportement au guidon lorsque la puissance maximale des motos sera restreinte par la loi. Les auteurs s'interrogent à savoir si une telle réduction de puissance diminuerait les capacités d'une moto à des niveaux tels que les risques seraient automatiquement affaiblis indépendamment du comportement du pilote.

Une enquête réalisée en Hollande en 1997 note que les accidents dans ce pays au cours des cinq années précédentes ont augmenté dans la même proportion que le kilométrage. Ce qui signifie que le pourcentage des accidents n'a pas nécessairement changé. Les enquêteurs hollandais ont remarqué que les motos les plus fréquemment impliquées dans les accidents étaient les sportives dont la cylindrée était de plus de 600cc.

Pour l'étude hollandaise, la puissance plus grande d'un moteur peut conduire à des accidents plus graves (des vitesses plus élevées) mais elle n'est habituellement pas la cause directe de l'accident. Peu d'accidents se produisent à la vitesse maximale de la moto. Une observation que faisait également le rapport Hurt en son temps en établissant la vitesse moyenne lors d'un accident à moto à moins de 50 km/h. La plupart des accidents surviennent parce que le pilote surestime ses capacités. La combinaison de l'attitude du pilote, du type de moto et de l'expérience étaient fortement en corrélation dans ces accidents. Parmi les exemples d'accidents reliés à la puissance, il y a ceux impliquant «un seul véhicule». Ceux dans lesquels la moto a été poussée à la limite en termes de vitesse, d'accélération et de tenue de route. Il en résulte une chute et une collision avec des arbres, des panneaux routiers ou tout autre obstacle naturel ce qui aggrave les accidents. Limiter la puissance des moteurs réduirait les capacités d'accélération mais ne changerait en rien le comportement des pilotes qui aiment rouler à la limite.

Le rapport présente aussi une autre catégorie d'accidents où la puissance du moteur joue un rôle indirect; il s'agit de ceux qui sont plutôt reliés à une perte de contrôle du véhicule, à l'inexpérience et à une mauvaise évaluation de la situation. La plupart de ces accidents se produisent en courbes ou sur les routes ou chemins sinueux.

Parmi les facteurs d'accident, le TNO Report n'oublie pas le binôme visibilité/vélocité. En effet, parmi les aspects propres à la moto, on note sa visibilité limitée pour les autres usagers de la route. La surface frontale des motos est particulièrement réduite ce qui rend leur détection plus difficile. En plus, il est ardu d'estimer visuellement leur vitesse.

Selon l'étude hollandaise citée par le TNO Report, un nombre significatif d'enquêteurs dit clairement que plusieurs accidents pourraient être évités ou, à tout le moins, avoir des conséquences moins fâcheuses si le freinage d'urgence était exécuté correctement. Dans plusieurs cas, le potentiel de freinage disponible n'est pas utilisé au maximum. Les enquêteurs recommandent que les motocyclistes reçoivent une formation plus étendue et améliorée en freinage lors de situations d'urgence. Dans une proportion de 57%, ces enquêteurs hollandais préconisent, dans un premier temps, l'adoption systématique des systèmes de freinage intégral (les freins avant et arrière sont activés simultanément par une pression soit sur le levier, soit sur la pédale de frein et, dans un second temps, la généralisation des systèmes anti-blocage (ABS). Ces modifications seraient bénéfiques tant pour les débutants que pour les pilotes plus expérimentés, selon le rapport.

En dehors de ces modifications techniques, il incombe aux experts en conduite motocyclistes, aux spécialistes en sécurité routière et aux pouvoirs publics de trouver une parade aux principaux facteurs accidentogènes dépendant du motocycliste, à savoir son âge, son expérience, son kilométrage annuel, son attitude, la consommation d'alcool. Et aux conditions environnementales: le genre de routes, le site de l'accident, le temps qu'il faisait, l'état de la route, l'heure de l'accident et la visibilité.

La résolution de tout problème passe par l'identification de ses causes. Une fois celles-ci cernées, il convient d'adopter des mesures visant à les réduire, voire les éliminer. C'est dans cette perspective que de nombreux spécialistes proposent une approche étapiste basée sur ces observations. L'étapisme en matière de permis moto prend tout son sens s'il vise à trouver une parade aux facteurs accidentogènes. Il réside dans l'instauration d'un permis probatoire d'une durée déterminée et de cours de formation obligatoires poussés dans lesquels les néophytes pourraient acquérir un bagage théorique et pratique (connaissances, expérience et techniques de conduite) les préparant adéquatement.

Ce permis probatoire pourrait également s'accompagner de mesures spécifiques visant à limiter la conduite dans certaines circonstances: interdiction de conduire la nuit ou à certaines heures de la journée, sous la pluie, sur certains types de routes, avec passager ou de dépasser une certaine vitesse ou un kilométrage annuel déterminé... Ceci dans le but de favoriser l'apprentissage.

Pour ce qui est de l'âge, de l'attitude et de la consommation d'alcool, il faut miser sur l'information et l'éducation, au détriment de la répression qui n'intervient qu'une fois l'acte répréhensible posé. Et développer des campagnes de sensibilisation visant à modifier efficacement les comportements, principalement chez les jeunes, lesquels sont sur-représentés dans les statistiques d'accidents, tous véhicules confondus.

Pour ce qui est des facteurs environnementaux, la balle est dans le camp des pouvoirs publics. La solution passe par une remise à niveau du réseau routier, l'application de mesures pro-moto, la mise en place de campagnes de sensibilisation aux motos s'adressant aux autres usagers de la route et, peut-être, par une refonte du Code de la sécurité routière.

 
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